Partie 2 – Énergie, inflation et pistes de réflexion pour le marché
La 1ère partie de cette table ronde organisée par la rédaction des Enjeux Piscine (cf. Enjeux Piscine n°1 – Février-mars 2024), avait été consacrée à l’eau, un enjeu majeur et récurrent pour le secteur de la piscine. À quelles autres urgences est donc confrontée la filière ? Comment ses acteurs peuvent-ils s’organiser pour en prévenir les effets dès aujourd’hui et démontrer leurs efforts aux décideurs politiques locaux comme nationaux ainsi qu’aux consommateurs français ?
Dans cette seconde partie, nous vous proposons de poursuivre avec nos invités, pisciniers, réseaux, distributeur et industriels, la découverte des enjeux majeurs du secteur, ainsi que les pistes de réflexion et de travail qui aideront chacun de ses acteurs à les prévenir et s’y adapter pour pérenniser ses activités et garantir l’avenir de la filière piscine.
Table ronde animée par Sébastien Carensac et Michel Dupenloup avec la participation de :
- Jean-Charles Romero, piscinier – AGR Piscine (34)
- Patrice Rubio, réseau – Carré Bleu
- Stéphane Goulet, réseau – l’esprit piscine
- Gilles Cristianini, distributeur – Hydralians
- Jean-Marie Geffroy, industriel – Fluidra
- Sébastien Guillot, industriel – CF Group
- Alain Roulier, industriel – Nextpool
- Laurent-Emmanuel Migeon, industriel – Bio-UV Group
- Xavier Darok, industriel – PCFR
La table ronde s’est tenue en visioconférence le 24 novembre 2023.
Enjeux Piscine : Comment percevez-vous le deuxième enjeu majeur de la filière, à savoir la consommation énergétique des piscines ? Quels messages va-t-il falloir faire passer et quelles seront les conséquences sur les consommateurs ?
« Il existe aujourd’hui des solutions qui permettent déjà de diminuer la consommation des piscines comme la pompe à vitesse variable ou la pompe à chaleur, » explique Jean-Charles Romero (AGR Piscine), « certains fabricants proposant même de les alimenter avec des panneaux solaires installés sur les locaux techniques. Avec ces différentes solutions la consommation d’énergie des piscines devrait pratiquement tendre vers les 0kW. » Ce que confirme Xavier Darok (PCFR) : « la technologie inverter des moteurs des pompes à vitesse variable et des pompes à chaleur devrait effectivement réduire la consommation des piscines. Et la norme NF EN 17645 sur l’efficience des performances environnementales des équipements de la piscine va aider à les classer en fonction de leur consommation. Il existe également des énergie-mètres IoT pour mesurer précisément l’énergie consommée par la piscine par rapport à la consommation du foyer. »
Gilles Cristianini (Hydralians) remarque que « jusqu’à présent, nous avons beaucoup axé la communication sur les restrictions d’eau et qu’il faut maintenant valoriser davantage les solutions développées pour les consommateurs et les professionnels. Je pense que le défi de 2024 concerne les économies d’énergie qui peuvent être réalisées au niveau d’une piscine ». « C’est à nous d’expliquer au client dans quelles proportions il lui est possible de réduire l’ensemble de ses consommations voire d’être indépendant du réseau électrique grâce à des panneaux solaires » poursuit Xavier Darok (PCFR).
Pour Jean-Marie Geffroy (Fluidra) « Nous sommes un peu dans la même situation que pour l’eau. Le particulier doit prendre conscience de la consommation réelle de sa piscine avant de décider d’investir dans les équipements pour la réduire. Nous commençons à ressentir les effets de la communication sur l’eau de l’été dernier et de l’augmentation du coût de l’énergie aujourd’hui.
La multiplication des objets connectés aide aussi les particuliers à se rendre compte de ce que consomme leur local technique. Avant, ils n’avaient qu’une facture globale et ne pouvaient pas savoir ce qui consommait le plus d’énergie chez eux, le chauffage, le four, le lave-vaisselle ou la piscine. Aujourd’hui, ils peuvent constater au quotidien qu’en ayant remplacé leur pompe on/off par une pompe à vitesse variable leur consommation avait été énormément réduite. Il est vrai qu’avec l’arrivée de l’inverter, il est quasiment devenu impossible de vendre une pompe à chaleur on/off. Maintenant que les clients savent qu’ils peuvent réaliser des économies d’énergie sur le chauffage, ils doivent découvrir qu’ils peuvent aussi en faire sur l’ensemble de leur piscine. Ils sont en train de comprendre qu’investir dans la rénovation de leur bassin peut avoir un véritable intérêt. »
« À mon sens » analyse Stéphane Goulet (Esprit piscine), « le premier travail vis-à-vis du consommateur, est d’avoir un discours très clair sur les coûts d’exploitation réels d’une piscine avant de travailler à les réduire : lui expliquer que sa pompe de filtration consomme 350€ d’électricité par an ; que ses 15 m3 d’eau vont lui coûter 60€ par an ; que pour sa pompe à chaleur on parle de 350 à 500€ par an ; que si on ajoute les produits, le coût d’exploitation complet de sa piscine représentera aux alentours de 1 000€ par an, et même moins si l’eau est traitée correctement. À partir de là, on peut lui expliquer qu’il est effectivement possible de diviser par 2 certaines consommations avec des produits adaptés. Cela permettra aussi de mettre en perspective l’investissement nécessaire pour préserver 150€ d’électricité ou 10m3 d’eau. À chacun ensuite de réfléchir s’il décide d’investir pour réaliser des économies ou parce que, philosophiquement, il pense qu’il est préférable pour la planète de produire sa propre énergie ? Mais déjà, avec une information très claire, nous risquons d’avoir de bonnes surprises par rapport aux a priori qui circulent sur la consommation des piscines. »
« Promouvoir les équipements les plus vertueux est aussi l’un des objectifs de la nouvelle norme. » précise Alain Boulier (Nextpool). « L’avantage est qu’elle traite aussi bien de la structure que de la filtration, de la façon de faire son circuit hydraulique, du chauffage évidemment, des couvertures, et du traitement d’eau. En tant que fabricant, notre rôle est d’ajuster maintenant les équipements à la demande. Auparavant nous avions des produits qui couvraient les besoins de piscines de 3×6 jusqu’à 7×15. Maintenant, par exemple, nous dimensionnons le moteur pour la bonne dimension de couverture et éviter une consommation pour un besoin qui n’est pas là.
Et puis tout ça avec une gestion automatisée pour aider les particuliers à réaliser des économies, à optimiser le fonctionnement et l’utilisation de leur piscine, parce qu’on se rend compte qu’il a du mal à piloter sa piscine. »
Stéphane Goulet (Esprit piscine) pense « qu’aujourd’hui, début 2024, nous sommes techniquement prêts à aborder la piscine vertueuse, tant au niveau des installateurs que des fabricants ». « Techniquement et financièrement », complète Jean-Marie Geffroy (Fluidra). « Au moment du lancement des premiers projecteurs LED, l’ampoule coûtait une fortune au regard de l’économie d’électricité. L’investissement financier pour être plus vertueux était sans rapport avec la consommation. Aujourd’hui, les pompes à chaleur inverter et les pompes à vitesse variable sont à des tarifs acceptables en comparaison d’un produit on/off. Le marché est donc prêt à répondre à cette demande de piscine vertueuse. Il faut attendre encore un peu que les panneaux solaires soient moins coûteux pour les clients, avec un amortissement moins long et nous serons effectivement capables d’arriver à une piscine autonome, en tout cas au niveau électrique. Le sujet de demain en revanche reste la récupération et la réutilisation des eaux. »
Pour Jean-Charles Romero (AGR Piscine), « toutes les professions ont eu leurs contraintes. Le secteur de l’automobile s’est adapté au bonus-malus. Dans la piscine, nous n’avons jamais eu de contrainte à part sur la sécurité. Tout le monde à l’époque s’est dit que ça n’allait plus marcher alors que finalement cela a été un véritable succès puisque nous n’avons jamais vendu autant de volets et de bâches.
Puisque qu’on parle de l’eau, si on prend l’exemple des stations de lavage, en 2003, au moment de la sécheresse, elles ont toutes fermé les unes derrière les autres. Alors que l’été dernier, toutes celles qui recyclent l’eau à 75% sont restées ouvertes.
Un jour, comme pour la maison individuelle, nous aurons l’obligation de fournir un bilan thermique au moment du dépôt d’une demande de permis de construire d’une piscine. Le problème est que nous, pisciniers, n’aimons pas trop les contraintes. S’il faut être vertueux sur l’eau et l’électricité, nous devrons nous adapter et s’il faut fournir ce bilan énergétique pour poser une piscine, nous le ferons. Je ne suis pas persuadé que la profession sera en péril, simplement… les bons resteront. »
Patrice Rubio (Carré Bleu) présente un autre enjeu pour le secteur : les prêts qui « dissuadent une partie de la clientèle, sans parler du taux d’usure qui a bloqué pas mal de demandes de crédit pour de la construction neuve avec un taux de refus de 53%. Il est évident que cette situation freine énormément l’activité du secteur du BTP et particulièrement la maçonnerie. Et comme le marché de la piscine est lié à celui de la maison nous en subirons les conséquences.
Il est important que nous prenions conscience que nous avons une clientèle qui est plus sensible aux sujets des consommation d’eau et d’électricité, que nous nous mobilisions et nous réinventions, mais nous nous faisons une montagne de la consommation d’eau et d’électricité alors que les montants ne sont pas très importants. L’enjeu n’est pas là, il est psychologique. Malgré cela, il est évident que le problème de l’eau va se reposer chaque année et que nous devons avoir de bons arguments pour ne pas subir ce que nous avons vécu au début de l’été dernier. »
Alain Boulier (Nextpool) renchérit sur le coût du bâtiment : « une maison est beaucoup plus chère maintenant qu’il y a 3 ou 4 ans. La pièce qui sautera pourrait bien être la piscine en termes de prix. » Une hypothèse qui ne convainc pas Jean-Charles Romero (AGR Piscine) pour qui « la part d’une piscine dans un emprunt sur 30 ans serait d’environ 40 €. Alors que le problème, ce sont les coûts du terrain et de la construction qui ont augmenté de 30% ». « Et sans compter le taux d’usure » complète Patrice Rubio (Carré Bleu). « Auparavant, les clients pouvaient rajouter un financement complémentaire pour la piscine ou pour des équipements. Aujourd’hui, pas mal d’entre eux sont relativement limités par le montant de l’emprunt ».
Jean-Charles Romero (AGR Piscine) rappelle« que quand les particuliers rachetaient leur crédit, ils en profitaient pour ajouter le financement de leur piscine, sans que ça leur coûte plus cher. Je connais des centaines de piscines qui ont été construites grâce au rachat de crédit. Ce n’est plus possible aujourd’hui. Mais je suis surpris qu’ils soient encore aussi nombreux à avoir l’intention d’en avoir une avec les problèmes d’eau, d’électricité, de crédit, de construction… On en vend encore 65 000 par an ! Le marché italien c’est seulement 12 000 piscines par an ! Aujourd’hui, quand on fait construire sa maison, on met une piscine. »
« C’est aussi grâce à l’augmentation de la température moyenne en été »explique Jean-Marie Geffroy (Fluidra). « Cela crée une problématique d’eau bien sûr, mais notre chance, c’est que les particuliers ont envie de fraicheur pendant l’été, ce que permet une piscine.
« Et surtout », conclut Jean-Charles Romero (AGR Piscine) « il ne faut pas oublier que la piscine donne de la valeur à la maison au moment de sa vente. »
Pour Sébastien Guillot (CF Group), « puisque l’on parle du réchauffement climatique et de la lame de fond écologique, je pense qu’il ne faut pas oublier nos empreintes carbone. Aujourd’hui, on se concentre sur l’objet piscine et ses consommations en eau, énergie, et électricité. Sauf que, si on reprend l’exemple des pompes à chaleur, un super produit au demeurant, on se rend compte que toutes les machines arrivent de l’autre bout du monde, et qu’entre leur fabrication et leur transport, on est dans le Scope 3 (ndlr : voir encadré) avec un bilan carbone compliqué. On parle trop peu de ce sujet alors qu’il viendra sur le tapis tôt ou tard parce qu’il est la première cause du réchauffement climatique. La dernière fois que j’en ai entendu parler, c’était pour une couverture à bulles qui avait un effet positif sur le bilan carbone de la piscine puisqu’elle permettait de l’améliorer. Je pense que c’est un vrai sujet de fond qui doit être pris à bras le corps. »
Comprendre : Qu’est-ce que le Scope 3 ?
Les émissions de gaz à effet de serre sont segmentées en 3 Scopes :
- Scope 1 : émissions directes de gaz à effet de serre émises par les entreprises (chauffage des locaux, émissions des véhicules de l’entreprise, etc.).
- Scope 2 : émissions indirectes liées à l’énergie utilisée lors du processus de fabrication d’un produit, dénommée empreinte carbone énergétique.
- Scope 3 : émissions indirectes de l’entreprise (environ 75 % des émissions) liées aux achats de marchandises, de services, etc.
Ce que confirme Stéphane Goulet (Esprit piscine) : « c’est vrai que nous nous sommes beaucoup focalisés sur l’énergie en 2022, puisque c’était le début de la guerre en Ukraine et que nous avons eu peur de ne pas avoir d’électricité pour l’hiver. Nous avons vraiment « switché » à 100% sur le sujet de l’eau en 2023. Comme dit Sébastien, il faut que nous nous penchions davantage sur l’impact carbone d’une piscine et que nous ayons des outils de mesure. On parle aujourd’hui de 150 à 200 kilos de carbone consommés sur une piscine.
Comme pour le reste, nous avons un travail d’information à faire sur l’empreinte carbone d’une piscine, comment on la mesure, à quoi on la compare et comment on peut l’améliorer. Il faut penser un peu plus loin et plus globalement, et anticiper davantage pour ne pas passer notre vie à mettre des rustines sur ces sujets. »
Et Sébastien Guillot (CF Group) de poursuivre «Aujourd’hui, pour l’obtention d’un crédit bancaire, si on est capable de démontrer au banquier que l’investissement est « RSE » avec un impact carbone positif, on peut accéder à des taux d’intérêt plus bas. Une finance verte se met en place pour aider au financement de projets vertueux. Cela ne concerne pas encore les particuliers mais devrait arriver dans la foulée. »
Ce que comprend Jean-Charles Romero (AGR Piscine) pour l’industrie mais que « pour les particuliers qui rentrent dans nos magasins, ce n’est pas le plus important aujourd’hui, seuls les plus écolos vont demander l’impact carbone de leur piscine. Je n’ai pas dit que ce n’était pas important. Notre profession doit évidemment travailler sur tous les sujets. Mais ce n’est peut-être pas le premier sujet à traiter. L’eau est déjà un sujet très compliqué avec ne serait-ce que la problématique des réseaux fuyards ». « C’est aussi parce que nous n’étions pas prêts à en parler » explique Jean-Marie Geffroy (Fluidra). « Très peu d’industriels connaissaient le bilan carbone de chacun de leurs produits, vous ne pouviez donc pas le fournir à vos clients. Si nous ne sommes pas tous capables de lui donner la même information, il ne peut pas comparer. C’est un peu comme avec le nutri score sur le paquet de biscuits. Quand il n’était affiché que sur 2 ou 3 paquets en rayon, cela n’intéressait personne. Aujourd’hui tous les paquets l’affichent et, inconsciemment, tu fais attention à ce que tu achètes. C’est ce arrivera pour la piscine. ». Jean-Charles Romero (AGR Piscine) lui répond : « Je suis d’accord avec toi, mais au moment d’acheter, il va également regarder le prix ».
« Comme je le disais tout à l’heure, c’est aussi à nous, industriels, de proposer des produits plus verts que les produits standards avec un écart de prix qui ne soit pas du simple au triple », lui répond Jean-Marie Geffroy (Fluidra).
Pour Alain Boulier (Nextpool) « Il ne faut pas se voiler la face, cela reste du marketing. On aura beau faire tout ce que l’on pourra en France pour réduire notre empreinte carbone, on ne pèse pas grand-chose au niveau de la planète face à l’explosion des émissions de carbone de pays comme la Chine et l’Inde. Mais en tant que fabricant, nous sommes obligés de rendre des comptes sur nos émissions carbone. Nous savons maintenant combien de kilos de carbone sont nécessaires pour un électrolyseur ou une couverture, mais cela reste du marketing. »
« Tant qu’on dira que c’est du marketing, on ne pourra pas faire avancer les choses » s’insurge Sébastien Guillot (CF Group). « La France est le pays des droits de l’homme que nous avons réussi à étendre à la planète. Aujourd’hui, il faut que la planète prenne exemple sur les bonnes pratiques de l’Europe. Il est vrai que les règles environnementales ne sont pas respectées aujourd’hui par des pays pollueurs comme la Chine et les États-Unis, mais ils en subissent également les impacts et commencent tout doucement à bouger. Si personne ne s’y met il n’y aura aucun changement alors que nous n’avons qu’une seule planète. Personnellement, je trouve très positif que l’Europe ait aussi ce côté protecteur puisque à prix égal, avec une production en circuit court et en Europe, vous aurez un meilleur bilan carbone que des produits de trading qui arrivent de l’autre bout du monde. Cela va aussi permettre de rééquilibrer l’économie. »
« Et c’est aussi une façon d’attirer des talents sensibles aux sujets environnementaux, » complète Laurent-Emmanuel Migeon (Bio-UV Group), « de jeunes ambassadeurs qui pourrons convaincre les acheteurs de piscine qu’il vaut mieux qu’ils choisissent une piscine qui consomme un peu moins d’eau et d’électricité avec un meilleur bilan carbone plutôt que des produits importés de Chine. C’est peut-être une vision à moyen terme, mais nos entreprises, avant tout, ce sont des hommes. »
EP : Si on se met à la place du piscinier qui va lire cette table ronde, comment doit-il agir avec son client ? Que doit-il lui dire ?
« Les clients sont à l’écoute aujourd’hui » constate Jean-Charles Romero (AGR Piscine). « Dans mon magasin, je propose une pompe à vitesse variable qui coûte deux fois le prix d’une pompe standard, et les clients sont preneurs. Il faut juste leur proposer et leur expliquer pourquoi. C’est pareil pour tout ce qui est traitement d’eau, même si le coût est supérieur, quand on leur dit qu’ils ne vont plus mettre de chlore, ils sont preneurs. »
Stéphane Goulet (Esprit piscine) « Le discours doit permettre de rassurer les clients qui ont envie d’une piscine qu’ils peuvent réaliser leur projet. Mais n’oublions pas malgré tout, comme l’a dit Patrice, que le prix moyen de la piscine a augmenté de 15 à 20 % depuis 2019 parce que nous avons dû répercuter les hausses des équipements et des matériaux. Il y a 3 ans, nous étions sur des budgets moyens à 50 000 euros. Aujourd’hui nous sommes à 60 000 euros avec le même niveau d’équipement. Et si on ajoute à ça des panneaux solaires et un système de récupération d’eau, le prix moyen de la piscine va encore augmenter.
Il est donc effectivement très important d’avoir le bon discours, d’aller dans le sens du consommateur, de lui expliquer qu’on a la possibilité de rendre sa piscine 100% autonome, tout en sachant qu’au moment du passage à l’acte, c’est le budget qui décidera. »
« On a la même chose avec les RT (ndlr : réglementation thermique) pour la construction de maisons individuelles », compare Jean-Charles Romero (AGR Piscine). « Elles font augmenter leur prix de 20 à 30%, mais si on propose quelque chose au client de bénéfique, je ne vois pas pourquoi il ne l’achèterait pas. » Alain Boulier (Nextpool) poursuit sur ce parallèle : « Il faut se rappeler qu’il n’est plus possible de construire une maison neuve qui ne soit pas très bien isolée. Il serait donc logique, qu’à terme, nous ne puissions plus vendre une piscine qui ne soit pas couverte ».
« Une problématique à laquelle nous nous adapterons rapidement. Je pense que tout le monde fait des efforts aujourd’hui. » répond Jean-Charles Romero (AGR Piscine). « Et si demain il faut rajouter un bilan thermique à la déclaration de travaux » ajoute Patrice Rubio (Carré Bleu), « cela ne posera aucun problème du moment que nous aurons les bons outils. C’est comme pour le bilan carbone, ce n’est pas ce que l’on va évoquer en premier avec un client, mais nous devons raisonner à plus long terme et l’anticiper. Si nous prenons, encore une fois, l’exemple de l’industrie automobile, le malus à payer au moment de l’achat d’une voiture est fonction du bilan carbone de la voiture, et cela parle à tout le monde. Et je redoute que l’on se dirige également vers une taxe carbone pour les piscines. » Ce que tempère Alain Boulier (Nextpool) « Cela prendra du temps. Pour les voitures, c’était normal à cause de leurs émissions directes. Aujourd’hui, on ne connait pas le bilan carbone des maisons. Quant aux piscines, on en est encore loin, mais il faut peut-être indiquer le bilan carbone lié à l’utilisation d’une piscine. » Et Jean-Charles Romero (AGR Piscine) d’ajouter : « Je pense que très rapidement nous aurons l’obligation de préciser dans les déclarations préalables les équipements qui seront installés, et que s’il n’y a pas le minimum syndical, c’est-à-dire au moins une bâche, le particulier n’aura pas l’autorisation d’avoir une piscine. »
Stéphane Goulet (Esprit piscine) en conclut « qu’il faut donc s’attendre en premier lieu à ce que le prix moyen des piscines ne baisse pas et, en second lieu, même une fois que nous aurons réussi à convaincre le consommateur de notre capacité à construire des piscines vertueuses, à ce qu’il se construise de moins en moins de piscines dans les mois à venir et pendant toute l’année 2024 ». « En tout cas des piscines de 14 x 7 avec 2,5 mètres de profondeur » précise Jean-Marie Geffroy (Fluidra). « Les ventes de bassin de grande taille étaient déjà en chute libre, mais elles devraient totalement disparaître en raison de cet aspect coût/consommation ». « Il se vend toujours des Ferrari, mais la voiture la plus vendue c’est la Duster. » illustre Jean-Charles Romero (AGR Piscine).
Gilles Cristianini (Hydralians) à propos du discoursrelève que « ce qui est surtout important, c’est la façon dont nous parviendrons à expliquer ces évolutions aux consommateurs, comme nous avons pu le faire sur les restrictions d’eau, pour montrer que le métier évolue et que nous pour pouvons apporter des solutions sur les marchés du neuf et de la rénovation. » Ce dont convient Laurent-Emmanuel Migeon (Bio-UV Group), pour qui «les fabricantsont un devoir de formation des professionnels pour sensibiliser les consommateurs à toutes les technologies qui existent et leurs impacts sur l’investissement à l’achat ainsi que sur les coûts opérationnels. Et nous adresser aux nouvelles générations connectées, très sensibles à la problématique environnementale. »
« Il ne faut pas non plus oublier l’importance de l’expérience utilisateur apportée par ces technologies » ajoute Xavier Darok (PCFR). « Leur prix sera plus élevé mais avec beaucoup d’avantages pour les consommateurs comme l’assurance d’une eau bien traitée et d’une piscine peu consommatrice, ce que nous pouvons prouver par de la donnée. Nous avons aussi un important travail de communication à faire à ce sujet. »
EP : Pour en revenir au devis, quelles mentions devraient y figurer pour bien informer et conseiller les clients ?
Xavier Darok (PCFR) : « Il faut surtout que les professionnels mettent en avant ces équipements dans leur devis, avec leur classification énergétique, et qu’ils expliquent à leurs clients qu’avec ces solutions et à ce prix-là, ils auront une piscine très vertueuse, classée A. Cela ne les empêchera pas de proposer également des équipements moins vertueux, avec un prix un petit peu plus bas, parce que ça sera toujours demandé. Mais cela démontrera au moins leur savoir-faire et leur capacité à proposer des solutions pour réduire l’impact global d’une piscine sur l’environnement ainsi que ses consommations d’eau et d’énergie pour mieux faire passer la pilule. »
« En 2024, une bonne partie des fournisseurs vont nous donner les notes de l’ensemble de leurs équipements », ajoute Stéphane Goulet (Esprit piscine), « ce que nous n’avions pas en 2023. Je sais également que la Fédération travaille sur un logiciel qui permettra de compiler l’ensemble des notes des équipements pour calculer la note globale de la piscine. Il me paraît important que nous disposions de cet outil pour pouvoir expliquer à nos clients que grâce à la somme d’équipements que nous lui vendons, sa piscine sera classée A ou B. Son développement a été ralenti par les problématiques liées à l’eau, je le comprends, mais il me semble important que la démarche aboutisse pour qu’il puisse être utilisé facilement par l’ensemble des pisciniers. Je sais que c’est une question de mois mais, sans lui, un constructeur de piscine est dans l’incapacité de déterminer seul la note globale de la piscine pour l’indiquer sur son devis. » « Je suis d’accord avec toi, mais il est déjà possible de répondre au client élément par élément » répond Xavier Darok (PCFR).
Sébastien Guillot (CF Group), à propos de la norme EN 17645 regrette « que nous ne soyons pas prêts pour la mettre en application alors qu’aujourd’hui c’est un sujet d’actualité. Le consommateur final peut avoir la note de chaque équipement mais il est dommage qu’il ne puisse pas encore connaître le score de sa piscine parce que nous ne sommes pas en mesure de la lui fournir pour des raisons de complexité technique. Nous restons encore dans le curatif et la réaction plutôt que dans l’anticipation. » « Le sujet n’est pas simple » explique Alain Boulier (Nextpool). « Il ne suffit pas d’additionner les notes. Il y a tout un calcul complexe à faire, il est donc normal que le développement de l’outil prenne du temps. Il est facile pour un fabricant, spécialisé dans son domaine, de déterminer la note d’un produit, mais pour un piscinier qui doit livrer la piscine complète et indiquer sa note globale en tenant compte de la structure, de chaque équipement, avec la couverture, le chauffage, etc. c’est autrement plus complexe. »
Stéphane Goulet (Esprit piscine) complète : « Pour notre part, nous avons commencé à communiquer sur le sujet vers le réseau juste avant la sortie de la norme il y a 2 ans. Mais aujourd’hui, nous attendons que l’outil soit disponible, parce qu’il nous parait important d’avoir des éléments tangibles à fournir au consommateur afin d’éviter un flou artistique sur le sujet. » « Le sujet est assez vaste », reprend Alain Boulier (Nextpool). « Quand il a été présenté pour la première fois aux Assises en 2023, la question de l’eau était tellement prépondérante que les pisciniers ne comprenaient pas pourquoi la norme parlait de l’efficience des performances environnementales des équipements et finalement assez peu de l’eau. Le sujet a effectivement été occulté par celui de l’eau. »
EP : D’après vous, quel devrait être le rôle de chaque acteur en termes de formation et de bonne information du consommateur ? N’y a-t-il pas une argumentation à construire sur laquelle chacun devrait s’investir ?
Alain Boulier (Nextpool) : « En tant que fabricant, nous agissons sur différents leviers.
En matière de développement durable, nous devons développer des produits avec une durée de vie longue ; intégrer leur éco-conception afin de prévoir toutes leurs phases de vie, y compris leur traitement en fin de vie ; gérer les matières premières qui les composent de façon plus durable et circulaire en incorporant de la matière recyclée dans leur fabrication ; ajuster leur capacité au besoin le plus précisément possible pour augmenter leur efficience ; imaginer leur utilisation par les propriétaires de piscine pour leur proposer des solutions très peu consommatrices.
Nous devons également les promouvoir et accompagner les professionnels pour qu’ils puissent expliquer à leurs clients que ces équipements vont avoir un effet positif sur les consommations de leur piscine, voire la rendre pratiquement neutre en eau et autonome en électricité pour ne pas peser sur l’environnement. Des piscines plus durables, qui aient du sens pour le particulier, afin qu’ils ne se sentent pas assimilés à des gens « riches », très émetteurs de CO2, et réduire ainsi le pool bashing. Et, enfin, travailler sur les prix. »
« Au-delà du travail d’information » répond Stéphane Goulet (Esprit piscine), « il faut se préparer à faire moins mais mieux avec des piscines mieux adaptées et équipées, et donc un peu plus chères. Pour nous, il est évident que nous ne pourrons pas aller chercher de la croissance sur la construction neuve, même si elle reste toujours au cœur de notre activité, mais la maintenir tout en adaptant progressivement nos organisations aux besoins du parc en termes de rénovation ou de service. Nous allons devoir nous positionner comme des spécialistes sur chacun de nos métiers, que ce soit la construction, la rénovation ou le service. C’est une phase d’adaptation indispensable en ce qui nous concerne. »
Pour Patrice Rubio (Carré Bleu), « la demande de rénovation a toujours été là. La différence est que quand notre carnet de commandes était complet pour 8 à 10 mois, nous ne prenions pas les chantiers de rénovation. Mais comme aujourd’hui le marché de la piscine neuve baisse, celui de la rénovation ressort. » « Pour ma part, c’est la rénovation qui a sauvé mon activité l’année dernière. » explique Jean-Charles Romero (AGR Piscine).« Les gens ont tellement peur de ne pas pouvoir remplir leur piscine, que nous construisons maintenant des piscines en hiver, ce qui nous laisse de la place en été pour les chantiers de rénovation ! » « C’est une autre perception de la rénovation » comprend Patrice Rubio (Carré Bleu) qui ajoute cependant que « tout le monde n’est pas en mesure de proposer de la rénovation. Et cette clientèle est différente. Elle est déjà aguerrie à la vie de la piscine et à ses intervenants. Elle sait avec qui elle veut travailler et sera plus sélective. Nous ne pouvons donc pas tenir le même discours, ce qui est d’autant plus intéressant. » Ce que confirme Jean-Marie Geffroy (Fluidra) « Effectivement, ce ne sont plus des utilisateurs novices. Ils ont déjà vécu la première vie de leur piscine ». « Et sur une véritable rénovation, les gens sont prêts à investir davantage que sur du neuf. » poursuit Jean-Charles Romero (AGR Piscine). « Et en plus du budget, nous avons beaucoup moins de concurrence, donc moins de bataille sur les prix et plus de marge.
J’ai aussi oublié de préciser que la demande de contrats d’entretien a explosé pour moi cette année. Le service est vraiment le mot le plus important pour notre profession. Si nous ne sommes pas capables de l’apporter, notre activité en souffrira. »
Gilles Cristianini (Hydralians) « En tant que distributeur, notre objectif est de sélectionner les meilleurs produits, de valoriser l’offre des fabricants et de développer des services à forte valeur ajoutée, pour proposer des solutions globales aux pisciniers, afin qu’ils puissent promouvoir des équipements économes en eau et en énergie. C’est un challenge pour nous avec, comme priorité, la formation de nos équipes pour accompagner les professionnels dans cette transition, sur du neuf, mais aussi et surtout, sur de la rénovation. Il est également important de communiquer sur ces solutions vers les consommateurs. » Ce que confirme Laurent-Emmanuel Migeon (Bio-UV Group) « Nous devons faire des efforts d’information et de formation considérables vers les professionnels et les utilisateurs finaux. Je remarque qu’elle est souvent défaillante alors que nous mettons quasiment tous les outils nécessaires à leur disposition. Quand on observe ce qui se passe dans d’autres univers en matière de transition écologique, on constate que ce qui compte, en priorité, ce sont les efforts réalisés davantage que le résultat. Nous devons donc être capables de leur expliquer l’impact très positif des technologies actuelles sur les consommations de leur piscine. Bien souvent, le consommateur n’en a pas connaissance et ne sait pas comment les utiliser efficacement. »
Jean-Marie Geffroy (Fluidra) : « Former et informer sont effectivement les clés de demain. Le marché est traversé par une lame de fond avec la prise de conscience générale de la nécessité de réduire les impacts d’une piscine. En tant que fabricant distributeur, nous avons déjà bien avancé sur le sujet. En 20 ans de piscine, j’ai vu évoluer la façon de concevoir les produits : leur réparabilité, la réduction des matières premières consommées pour leur fabrication et leur conditionnement. Aujourd’hui, nous travaillons à réduire les notices et le plastique a quasiment disparu des emballages Nous revoyons également notre façon de penser la logistique, le commerce, nos supports, etc. Nous avons réduit la taille de notre catalogue pour diminuer nos consommations de papier et nous incitons nos clients à davantage utiliser sa version numérique. Jeter des catalogues en fin d’année parce qu’ils n’ont pas été utilisés ou des documentations parce que le produit a évolué me scandalise. C’était peut-être acceptable il y a dix ans, mais beaucoup moins aujourd’hui. Le changement est global. Je pense que tous les acteurs de la filière en ont pris conscience. Le particulier y est également réceptif. Le moment est venu d’accompagner ce changement. »
Sébastien Guillot (CF Group) : « Nous avons démarré cette table ronde par les menaces qui pèsent sur la filière, des menaces que nous pouvons, je pense, transformer en opportunités à deux conditions, l’adaptation et l’innovation, faute de quoi notre secteur ne s’en sortira pas.
Les solutions qui nous permettront de nous adapter avec un usage raisonné de la piscine et d’optimiser les ressources existent. À nous d’informer et de former les clients, de partager et de consolider les bonnes pratiques, de les mesurer, les diffuser, les expliquer.
En ce qui concerne l’innovation, pour notre part, nous travaillons à rendre l’objet piscine si possible autonome voire fournisseur de ressources ! Ces derniers mois, nous avons présenté des solutions dans ce sens avec comme fil conducteur la préservation de la planète. D’après moi la clé est d’anticiper afin de ne pas nous retrouver face au fait accompli et de réagir trop tard. L’objectif est d’amorcer la transition écologique du secteur en apportant de véritables solutions. Nous ne devons pas attendre que des personnes extérieures à la filière traitent nos problèmes, nous devons les prendre à bras le corps. »
Patrice Rubio (Carré Bleu) conclut la table ronde : « il est vrai que nous, pisciniers, aimons bien être dans notre zone de confort, de savoir-faire ce que nous faisons et de bien le faire. Après deux années d’opportunités commerciales et de forte activité, même si nous savions qu’elle était en partie artificielle, la redescente est assez difficile. Et nous subissons en plus une double peine avec les problèmes de sécheresse et le pool bashing.
Maintenant, si nous élargissons un petit peu la perspective, ce que nous vivons aujourd’hui est une opportunité. Lorsque la loi sur la sécurité des piscines a été votée, tout le monde a pensé que l’obligation de poser des équipements sécuritaires allait faire chuter l’activité. Aujourd’hui c’est la même chose. À nous de nous prendre par la main et de nous remettre en question. Nous devons être davantage proactifs et force de proposition pour ne pas subir ce qui se passe. À partir du moment où nous serons capables d’anticiper et de travailler en amont pour ne pas subir les décisions politiques, nous pourrons réinventer notre métier pour être beaucoup plus sereins demain. »
Fin de la table ronde.