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Hervé et Romain Mery : « Transmettre, c’est aussi transmettre un savoir-faire, une culture, un engagement »

Piscines et Bains – Coulommiers (77)

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Dans cette interview croisée, Hervé Mery et son fils Romain partagent leur expérience de transmission familiale de l’entreprise Piscines et Bains à Coulommiers. Une démarche anticipée, structurée, mais avant tout pensée pour garantir la pérennité de l’entreprise.

J’ai pris ma retraite le 1er mai 2013 — une date symbolique, jour de la fête du Travail — mais j’ai continué à travailler à mi-temps pour alléger les charges tout en accompagnant l’entreprise dans la transmission. C’était une façon de réaliser une transition douce. Le vrai enjeu selon moi est d’éviter que l’entreprise ne s’effondre après le départ du cédant, ce qui arrive malheureusement bien trop souvent. Une cession mal anticipée peut entraîner des charges trop lourdes et plomber la capacité de développement. Je ne connais pas les chiffres dans le secteur piscine, mais dans le BTP, une entreprise cédée sur trois met la clé sous la porte. C’est précisément pour cette raison que j’ai souhaité anticiper au maximum mon départ, structurer les choses en amont et ne rien laisser au hasard.

Plutôt que de vendre, nous avons préparé une transmission progressive via la création d’une holding familiale dès 2010. Initialement, nous avions partagé les parts de la holding entre Romain et sa sœur, pensant bien faire. Mais cela a posé des problèmes de gouvernance. Il a fallu revoir la répartition pour donner à Romain un contrôle clair et cohérent avec des pouvoirs majoritaires.

Au fil des années, nous avons intégré les différentes entités du groupe — construction, étanchéité, magasins — dans cette holding, avec une logique d’activité distincte pour chaque société. Cette structuration nous a permis d’adapter les conventions collectives à chaque activité (notamment pour adapter les horaires de travail, les horaires sur les chantiers ou en magasin), d’optimiser la gestion, de faciliter le pilotage et de mieux identifier les points de blocage potentiels.

Une fois tout consolidé, nous avons engagé une donation en nue-propriété à Romain, en conservant l’usufruit. Cette opération s’est faite dans le cadre du Pacte Dutreil. Ce mécanisme permet de transmettre les parts d’une entreprise avec une exonération de 75 % des droits de donation ou de succession, à condition de respecter plusieurs engagements. Concrètement, nous avons dû nous engager collectivement à conserver les titres pendant au moins deux ans puis garantir que le bénéficiaire — en l’occurrence, mon fils Romain — continuerait à diriger l’entreprise pendant au moins trois ans après la transmission.

Le Pacte Dutreil est un dispositif fiscal très avantageux mais exigeant

Le Pacte Dutreil est un dispositif fiscal très avantageux mais exigeant. Pour que ce dernier soit valable, la holding devait être qualifiée d’« animatrice », c’est-à-dire jouer un rôle actif dans le pilotage des filiales. Il a fallu formaliser chaque lien entre la holding et les sociétés : mutualisation des achats, décisions stratégiques communes, conventions de gestion, animation managériale…

Nous avons été accompagnés par un notaire, un avocat fiscaliste et notre expert-comptable, car une erreur ou un oubli peut entraîner la perte de l’exonération. L’organisation doit être irréprochable. Il faut éviter les montages simplistes. La valorisation de l’entreprise est centrale : ni trop haute (ce qui pourrait poser des problèmes en cas de revente), ni trop basse (au risque de redressement fiscal). On a fait trois évaluations distinctes, et choisi la moyenne.

Oui, notamment le fait d’avoir, au départ, partagé les parts de la holding entre Romain et sa sœur. C’était équitable mais problématique pour la gouvernance. Autre conseil : ne pas sous-estimer l’importance de la durée. Dans notre cas, l’organisation globale de la transmission a pris près de 14 ans. Ce n’est pas une opération ponctuelle, mais une construction patiente et réfléchie pendant laquelle nous avons pu compter sur le soutien de nos proches : la réussite d’un tel projet repose rarement sur le seul entrepreneur ! Nos épouses respectives, Viviane et Stéphanie, ont joué un rôle clé, à la fois dans le développement de l’entreprise, mais aussi dans la réussite de cette transmission.

Il y en a plusieurs, mais le plus fréquent, c’est de confondre le résultat de l’entreprise avec la capacité à l’obtenir. Beaucoup de repreneurs, souvent extérieurs au métier, regardent uniquement le chiffre d’affaires. Mais ce n’est pas le résultat qu’il faut acheter : c’est la capacité à le reproduire. Et cela ne s’improvise pas. Il faut des compétences, de l’expérience, une vraie implication personnelle. Une entreprise ne produit pas de la richesse par magie. Ce n’est pas un placement financier. C’est un système vivant, complexe, qu’il faut comprendre, animer et faire évoluer.  Transmettre à quelqu’un qui ne connaît pas le métier, c’est aller droit dans le mur

Je dirais que deux choses sont trop souvent sous-estimées : les forces vives et la culture du métier. Il est essentiel de garder les personnes clés dans l’entreprise. Certains repreneurs veulent faire table rase, repartir à zéro, se séparer des anciens. C’est une grave erreur. Ces collaborateurs expérimentés sont les piliers opérationnels, ceux qui connaissent les clients, les particularités techniques, les procédures non écrites. Se priver d’eux, c’est se priver de l’intelligence collective qui fait tenir l’entreprise. 

Ensuite, il faut avoir conscience des exigences concrètes du métier. Il faut être souple, disponible, savoir travailler le samedi, ajuster les horaires, se caler sur le rythme des saisons. Celui qui cherche un confort de travail 9h–17h se trompe de voie. Dans notre secteur, encore plus que dans d’autres, il faut accepter de transpirer. Et ça, ce n’est pas écrit dans les bilans. Si l’acheteur ne le comprend pas, il se heurte très vite à la réalité : les résultats s’effondrent, les salariés s’en vont, les clients aussi…

J’ai suivi un BTS en bureau d’études chauffage-climatisation. À l’origine, l’entreprise familiale était spécialisée dans ce domaine. Mais avec le temps, le secteur du chauffage est devenu de plus en plus contraint et complexe, à la fois sur le plan technique et sur le plan réglementaire. En parallèle, l’activité piscine a commencé à prendre de l’ampleur. Ce qui nous a amenés à faire le choix stratégique de nous recentrer sur ce secteur. 

J’ai intégré l’entreprise en 1999, d’abord sur le terrain, en occupant des postes techniques, puis en évoluant vers la gestion commerciale, avant de prendre des responsabilités managériales. Cette montée en puissance progressive, sur plusieurs années, m’a permis de développer une vision complète de l’entreprise, à la fois opérationnelle et stratégique. Et je pense que c’est cette trajectoire construite dans la durée qui a véritablement permis une transmission fluide et réussie.

Cette transmission n’a pas été un frein, mais un véritable levier d’accélération

Transmettre, c’est une chose. Conserver le chiffre d’affaires, c’en est une autre. Et continuer à le développer, c’est encore un autre défi. Nous pouvons être fiers d’avoir transmis une entreprise saine, solide et en plein développement. Le chiffre d’affaires a continué à progresser, l’équipe compte aujourd’hui plus d’une vingtaine de salariés, et nous avons même ouvert de nouveaux points de vente pour mieux couvrir notre territoire. Et ce que je retiens surtout, c’est que la relève est assurée. Même si je garde encore un pied dans l’entreprise, je sais que les choses sont entre de bonnes mains. Cette transmission n’a pas été un frein, mais un véritable levier d’accélération

Oui, les reprises par plusieurs salariés fonctionnent souvent très bien. L’alchimie entre deux ou trois profils peut créer une complémentarité puissante. Les banques apprécient aussi ce type de schéma, car cela répartit les risques et multiplie les compétences. Ce sont des transmissions collectives qui, bien accompagnées, donnent de bons résultats.

D’abord, ne pas improviser. Ensuite, ne pas vendre à quelqu’un qui n’a ni la capacité, ni la connaissance du métier. Transmettre, c’est aussi transmettre un savoir-faire, une culture, un engagement. C’est un acte de vision, de responsabilité et de pérennité.