C’est le défi permanent des pisciniers. En effet, construire une piscine, c’est avancer par étapes : terrassement, gros œuvre, finitions… Impossible, dans ces conditions, d’exiger la totalité du règlement à la signature. Les paiements doivent être échelonnés au fil du chantier. Malheureusement, il n’est pas rare que certains clients invoquent des détails insignifiants pour retarder ou bloquer le paiement. Pour autant, dans bien des cas, il n’y a pas une victime et un coupable… mais un client de mauvaise foi et un professionnel négligeant ! Car derrière ces litiges se cache souvent une faille contractuelle : des conditions de règlement mal précisées dans le devis, des avenants oubliés… Et autant de risques de ne jamais être payé.
Cette réalité fragilise nombre d’entreprises et impose rigueur contractuelle, anticipation et vigilance afin de permettre aux pisciniers de sécuriser leur paiement et ainsi conserver leur marge et leur trésorerie.
Mathias Werner, formateur et expert piscine à la CNEPS, et Jean-Michel Susini, juriste à la FPP livrent leurs conseils pratiques pour aider les professionnels à se faire payer par leurs clients.
Structurer et cadrer la relation entre le professionnel et le consommateur
On ne le dit jamais assez : mieux vaut prévenir que guérir ! Mettre un cadre, ce n’est pas se méfier de ses clients, c’est structurer la relation. La clé réside dans l’équilibre entre fermeté et confiance : ne jamais déroger aux règles pour plaire, mais expliquer au client que ces procédures sont le signe d’une entreprise sérieuse et responsable. Car se faire payer par ses clients n’est pas une question de hasard ou de bonne volonté, mais relève d’une discipline à part entière.
1. Le devis, le premier rempart
La fonction première du devis est de permettre au consommateur de mesurer avec précision et certitude les conditions de son engagement.
Juridiquement, un devis signé « tient lieu de loi » entre les parties (C. civ. art. 1103).
Tout commence donc avec un devis clair et détaillé, qui, dès la signature, a valeur d’engagement définitif et constitue le fondement des obligations respectives des parties l’une envers l’autre. Il doit notamment comporter les détails de la prestation à réaliser, le délai d’exécution, le prix HT poste par poste, la TVA et préciser les conditions et modalités de paiement (dans l’hypothèse d’un paiement échelonné, il est essentiel de détailler chacune des échéances).
2. L’importance des CGV
Au-delà des conditions particulières, le devis sera complété par les conditions générales de vente (CGV), plus secondaires et dont l’objectif est de limiter, autant que possible, les incertitudes et les difficultés d’interprétation par le client. A ce sujet, les CGV devront impérativement identifier le médiateur de la consommation désigné par l’entreprise (obligatoire depuis le 1er janvier 2016).
3. Attention aux avenants
En cours d’exécution, toutes modification (supplément, retranchement, remplacement…) apportée aux conditions initiales prévues au devis doit être encadrée avec rigueur : aucun travail ne doit être réalisé en dehors du devis initial sans qu’un avenant modificatif du devis initial ne soit dument régularisé entre le prestataire et son client. Cette formalisation est essentielle, car à défaut d’accord écrit, le client serait en position de contester le paiement de tout supplément non prévue au contrat.
Conseil : Refuser de faire des « cadeaux »
Si un client demande un “coup de pouce” en marge du contrat, par exemple de couler une petite dalle avec le béton restant, la réponse doit être claire : non, ce n’est pas prévu dans le devis. Céder à ce type de demande peut sembler anodin, mais c’est précisément en multipliant ces “cadeaux” que naissent des incompréhensions et parfois des litiges.
De nombreux conflits trouvent leur origine dans ces gestes gratuits, qui brouillent la frontière entre ce qui est inclus et ce qui ne l’est pas. Tenir fermement le cadre contractuel protège à la fois l’entreprise et le client, et garantit une relation professionnelle saine et équilibrée.
4 – Les autorisations d’urbanisme, étape incontournable
Démarrer sans autorisation d’urbanisme expose l’entreprise à des risques majeurs : arrêts de chantier, obligations de mise en conformité, voire démolition pure et simple de l’ouvrage. Il est donc impératif de reporter un chantier, plutôt que de l’entamer sans un cadre administratif et technique parfaitement validé. A ce sujet, il est nécessaire de s’assurer que les autorisations d’urbanisme sont obtenues.
Les règles varient selon la surface concernée :
- aucune formalité n’est requise pour une construction de moins de 10 m² (hors zones protégées) Il demeure cependant nécessaire de respecter les prescriptions du règlement de PLU applicables sur la zone du projet ;
- une déclaration préalable est obligatoire entre 10 m² et 100 m² (dossier Cerfa accompagné des pièces DP1 à DP8, délai d’instruction d’environ un mois, validité trois ans) ;
- au-delà de 100 m², un permis de construire est nécessaire.
Les démarches, formulaires et références officielles sont disponibles sur le site service-public.fr.
5 – Le PV d’Implantation
Au-delà des autorisations administratives, il est essentiel de travailler uniquement sur un plan validé et signé. La signature d’un procès-verbal (PV) d’implantation, en présence des intervenants clés (terrassier, maçon, etc.), constitue la meilleure protection contre toute contestation future concernant l’emplacement, l’altimétrie, les accès ou les réseaux.
Le bon réflexe
Pour sécuriser vos relations contractuelles, appuyez-vous sur les modèles mis à disposition des adhérents par la FPP : devis/bon de commande, PV d’implantation, avenants, PV de réception. Ces documents standardisés offrent un cadre juridique clair à chaque étape du chantier. Toutefois, n’oubliez pas qu’il s’agit de modèles génériques : prenez le temps de les personnaliser en fonction de votre activité et, de préférence, faites-les valider par un avocat spécialisé afin de garantir leur parfaite conformité, notamment sur la protection des données dans le cadre de la RGPD.
Mécanique des impayés et leviers d’action
De nombreux pisciniers se retrouvent confrontés à des impayés parce que les sommes laissées en solde à la réception sont trop importantes. Comme le souligne Jean-Michel Susini, juriste de la FPP : « Quand il reste moins de 2 000 € à payer, peu de clients prendront le risque de retenir le solde sachant que leur réputation et l’avenir du SAV sont en jeu. Mais pour 10 000 ou 20 000 €, c’est autre chose ! Et certains deviennent soudainement tatillons. » Dans ces conditions, un simple détail – un désaffleurement imperceptible entre deux margelles, une dalle légèrement désalignée, une finition perfectible – peut devenir un prétexte pour retarder ou refuser le règlement du solde. La clé est donc de limiter l’importance du solde final (idéalement 5% payable lors de la réception) afin de réduire ce risque.
Ventiler les appels de fonds pour sécuriser les paiements
La bonne pratique consiste à fractionner les paiements tout au long du chantier, en demandant un versement à chaque étape significative. Cette ventilation permet de sécuriser progressivement la trésorerie et d’arriver à la réception avec un solde à payer limité à 5 % au maximum. Ainsi, l’entreprise sécurise l’économie de l’opération en diminuant le risque d’exposer sa marge à des blocages injustifiés, et le client bénéficie d’une relation claire et transparente.
PV de réception : la clé pour déclencher le solde… et les garanties
Le procès-verbal (PV) de réception est l’élément final indispensable d’un chantier. Il matérialise l’acceptation de l’ouvrage par le maître d’ouvrage et constitue le point de départ des garanties légales. Prévu à l’article 1792-6 du Code civil, il doit être signé contradictoirement, avec ou sans réserve. Si le client constate des défauts, il doit les mentionner en réserves dans le PV. Exemple : « Réception sous réserve que les joints des margelles soient refaits ». Une fois la correction effectuée, la réserve est levée et un nouveau PV est signé, clôturant définitivement la réception. Sur de gros chantiers, il est possible d’organiser des réceptions partielles, qui valident définitivement une étape avant la réception finale.
Pourquoi est-il crucial de faire signer un PV de réception ?
- Il déclenche le paiement du solde de la facture.
- Il fait courir les garanties : parfait achèvement (1 an), biennale (2 ans), décennale (10 ans).
- Il borne clairement les responsabilités entre l’entreprise et le client.
Et si, malgré tout, ça déraille ?
Si, malgré toutes les démarches contractuelles, le paiement n’intervient pas, il reste possible de rappeler au client l’existence d’outils de procédure judiciaire. Bien souvent, le simple fait de l’informer qu’une décision de justice peut être rendue à son encontre, avec exécution directe par saisie sur salaire ou sur compte bancaire, suffit à débloquer la situation. Lorsqu’un particulier comprend que son employeur ou sa banque pourra être impliqué, il mesure rapidement les conséquences d’un refus persistant et préfère régler sa dette.
1. La voix amiable
Une facture non réglée doit être relancée dans la semaine. Passé huit jours, l’envoi d’une mise en demeure devient indispensable. Cet acte formel rappelle au débiteur son obligation de paiement découlant d’un contrat qu’il a accepté. Pour être valable, la mise en demeure doit être envoyée par lettre recommandée avec accusé de réception. Cette démarche est primordiale : sans elle, la requête d’injonction de payer serait jugée irrecevable. En pratique, la mise en demeure constitue donc une double arme : elle met la pression sur le client en lui rappelant la gravité de son manquement et elle protège juridiquement l’entreprise en ouvrant la voie à l’injonction de payer.À défaut de réaction, la suspension des travaux est une arme efficace : rares sont les clients prêts à retarder leur baignade estivale. La règle d’or : Réagir vite !
2. Stop chantier : Un levier efficace en cas de non-paiement
En cas de non-règlement d’une échéance, le piscinier dispose du droit de suspendre les travaux. Ce levier juridique, prévu par le Code civil, doit cependant être exercé avec méthode et dans le respect de la procédure.
Procédure :
- Relance amiable par écrit.
- Mise en demeure par lettre recommandée avec accusé de réception (délai de 8 jours).
- Notification officielle de “stop chantier” précisant la date, l’heure, les mesures de sécurisation du site et les conditions de reprise (paiement intégral + frais).
- Conservation des matériaux non réglés, en vertu de la clause de réserve de propriété.
- Reprise des travaux uniquement après encaissement de toutes les sommes échues.
- En cas de persistance : recours à l’injonction de payer (CPC, art. 1405 s.) ou résolution pure et simple du contrat.
Clause type à insérer dans les CGV :
« En cas de non-paiement d’une échéance et après mise en demeure restée infructueuse pendant 8 jours, l’Entreprise pourra suspendre les travaux en application des articles 1219 et 1220 du Code civil. La reprise interviendra après règlement intégral des sommes échues, majorées des intérêts de retard et des frais de remise en route. »
Attention au délai légal de prescription
Le professionnel dispose de deux ans à compter de l’échéance impayée pour agir. Passé ce délai, l’action en recouvrement est prescrite et le client peut se considérer comme libéré de son obligation. Certains débiteurs peu scrupuleux misent d’ailleurs sur la négligence ou la passivité du professionnel pour échapper à leurs engagements. Ni une relance, ni même une mise en demeure ne suspendent ce délai : seul le dépôt d’une requête en injonction de payer permet d’interrompre la prescription. C’est la seule garantie de préserver ses droits et de ne pas voir la créance s’éteindre par l’effet du temps.

1. Procédure d’injonction de payer
Lorsqu’un client refuse de régler les sommes dues malgré relances et mise en demeure, le piscinier peut engager une procédure d’injonction de payer, prévue par l’article 1405 du Code de procédure civile. Jusqu’à 10 000 €, la démarche peut être effectuée sans avocat. Toutefois, pour que cette action soit recevable devant le tribunal, il est indispensable que le professionnel ait respecté toutes les règles en amont : devis signé, avenants correctement formalisés, conditions de paiement claires, et mises en demeure envoyées. Ce respect scrupuleux de la procédure constitue la meilleure protection de l’entreprise et assure la crédibilité de sa demande devant le juge. Si la demande est fondée, le juge rend une ordonnance d’injonction de payer, qui devient exécutoire sauf opposition du client dans un délai de 30 jours.
2. Procédure au fond
Lorsque les démarches amiables et les procédures rapides n’aboutissent pas, il reste la possibilité de saisir le juge du fond. Cette voie consiste à engager une action judiciaire classique devant le tribunal pour obtenir le règlement de la créance. Toutefois, il faut garder à l’esprit que la procédure au fond est longue et exigeante : obtenir une date d’audience peut prendre plusieurs mois, voire davantage, et la décision suppose un dossier solide et incontestable. C’est pourquoi cette option doit être envisagée uniquement en dernier recours, lorsque tous les autres leviers de recouvrement ont échoué.
Pourquoi agir même en cas d’impayé certain ?
Même lorsqu’il est évident qu’un client ne paiera pas — par exemple s’il est parti sans laisser d’adresse — il reste indispensable d’engager des démarches. Au-delà de l’enjeu économique pour l’entreprise, il existe une autre raison déterminante : le regard de l’administration fiscale. En effet, si elle constate un écart entre le chiffre d’affaires facturé et les encaissements, elle peut soupçonner une dissimulation volontaire de recettes.
Pour éviter ce risque, il est crucial de démontrer que l’impayé résulte bien d’un défaut de paiement du client et non d’une irrégularité de l’entreprise. Cela passe par la conservation de toutes les preuves : devis signé, factures émises, relances, mises en demeure et, si nécessaire, tentative de recouvrement judiciaire. Ces éléments permettront de justifier que l’entreprise a entrepris toutes les actions nécessaires et que la créance doit être considérée comme une perte réelle, et non comme un revenu dissimulé.









