En intervention ou en magasin, il est essentiel de savoir prendre les bonnes décisions et d’apporter des conseils pertinents au client. Pour cela, le professionnel peut s’appuyer sur un outil aussi simple qu’efficace : la balance de Taylor. Encore trop peu utilisée, elle permet pourtant d’interpréter l’analyse de l’eau dans sa globalité, en croisant les trois paramètres essentiels que sont le pH, le TAC (Titre Alcalimétrique Complet) et le TH (Titre Hydrotimétrique).
Explications et cas concrets avec Xavier Darok (chef de produit PoolCop) et Mathias Werner (formateur et expert piscine)
3 paramètres pour une eau à l’équilibre : le TAC, le TH et le PH
Le pH : l’indicateur du confort de baignade
Le pH est capital à plusieurs titres :
- Il doit rester dans un intervalle de 7 à 7,6 pour être confortable pour l’être humain — le pH du liquide lacrymal étant proche de 7,3. En dehors de cette plage, des réactions acido-basiques se produisent et génèrent des inconforts.
- Il faut donc toujours trouver un compromis, dans cette tranche de confort, pour que le traitement choisi fonctionne efficacement. À 7,2, le chlore agit avec une efficacité de 60 à 65 %. C’est un premier compromis.
Et pour éviter les fluctuations du pH et ses effets « yoyo », l’eau doit être capable d’absorber tout ce qui pourrait le perturber : c’est le rôle du TAC.
Le TAC : le pouvoir tampon de l’eau
Le pouvoir tampon de l’eau va lui permettre d’absorber tout ce qui va venir influer sur le pH : la pluie, qui va le faire baisser, l’urine, les végétaux en décomposition… Bref, tous les éléments dont le pH n’est pas identique à celui de l’eau.
L’intérêt du TAC est de fournir une réserve d’agents chimiques, les bicarbonates, qui vont fonctionner comme des absorbeurs ou des apporteurs d’acidité ou de base. La « puissance neutralisante » de cette réserve s’assimile à la teneur en gaz carbonique absorbé par les minéraux présents dans l’eau, d’où l’importance de rechercher l’équilibre calco-carbonique.
Malheureusement, la moindre perturbation de l’eau et l’augmentation de sa température, auront une incidence sur la quantité de gaz carbonique dissous :
- Le mouvement de l’eau d’une piscine à débordement ou miroir peut faire chuter le TAC très rapidement ou celui de la nage à contre-courant ;
- Ne pas fermer le volet ou la couverture la nuit va favoriser le dégazage d’autant plus si l’eau de la piscine est chauffée ;
- Une pompe surdimensionnée va créer de l’agitation alors qu’une pompe à vitesse variable, fonctionnant en continu à vitesse réduite, va limiter la chute du TAC ;
- Un filtre sous-dimensionné va contrarier le flux. L’eau va passer trop vite ce qui va favoriser l’entartrage du filtre et consommer davantage de TAC.
- Etc.
D’où l’importance de surveiller régulièrement le TAC et de s’assurer que l’eau dispose d’une réserve suffisante dès le début de la saison. La perte moyenne de TAC, en saison, sur un bassin classique, peut s’estimer entre 40 et 60 ppm par mois. Un TAC à 80 ppm en début de saison est donc insuffisant.
Sa valeur idéale se situe entre 150 et 240 mg/l.
Les bicarbonates sont stables dans l’eau dans un intervalle de pH idéal compris entre 6,0 et 8,3.
Attention toutefois à l’ajout de pH minus liquide : il peut faire chuter brutalement le pH en dessous de 6,0, entraînant la destruction des bicarbonates et, par conséquent, une baisse prématurée du TAC.
On peut comparer le pouvoir tampon de l’eau à une balance. Les bicarbonates jouent le rôle de contrepoids : ils permettent de stabiliser le pH en absorbant les éléments qui pourraient le faire basculer, que ce soit vers l’acidité (pH bas) ou vers la partie basique (pH élevé). Grâce à cette action tampon, ils évitent les variations brutales du pH et maintiennent l’eau dans une zone d’équilibre favorable au confort de baignade et à l’efficacité des traitements.
Lorsque le TAC est dans sa plage idéale, les bicarbonates jouent pleinement leur rôle : ils compensent efficacement l’impact des produits de traitement ou des éléments extérieurs sur le pH. L’eau reste alors stable et équilibrée.
Le TH : la dureté calcique de l’eau ou l’indice de concentration des minéraux à base de calcium
Une fois le pH et le TAC mesurés, il est essentiel de s’intéresser à la teneur en carbonates de calcium dans l’eau. Cette étape permet de vérifier si l’eau contient une quantité suffisante de minéraux pour maintenir un bon équilibre calco-carbonique, et garantir la stabilité de l’eau et la protection des équipements.
Un titre hydrométrique (TH) élevé, lié à une forte concentration en calcium, peut entraîner la précipitation de ces minéraux : ils se regroupent, se solidifient et provoquent des dépôts, un entartrage ou une eau trouble à tendance laiteuse.
Sa valeur idéale se situe entre 150 et 300 mg/l.
En France, la dureté de l’eau (TH) varie considérablement d’une région à l’autre. Les professionnels intervenant sur une zone de chalandise étendue doivent tenir compte de ces différences pour ajuster leurs interventions selon leurs analyses.Par exemple, dans les Pyrénées Atlantiques, l’eau est très douce, ce qui nécessite souvent une reminéralisation. À l’inverse, dans les régions très calcaires, il est recommandé d’utiliser un anticalcaire pour limiter les dépôts.
Bien connaître la qualité de l’eau du robinet utilisée pour les remplissages permet d’anticiper les ajustements à faire et de conseiller le client sur les produits à ajouter régulièrement, renforçant ainsi sa confiance dans votre expertise.
Pourquoi utiliser la balance de Taylor ?
La balance de Taylor permet de comprendre le comportement de l’eau et d’anticiper les risques de déséquilibre. Elle propose une vision globale de l’équilibre calco-carbonique. Elle aide à vérifier que :
- Le pH de consigne correspond aux attentes du baigneur en termes de confort,
- L’eau est à l’équilibre, condition essentielle pour garantir l’efficacité des traitements,
Le pH est aligné avec les « souhaits de l’eau », c’est-à-dire la relation naturelle entre le pH, la concentration en gaz carbonique dissous (contenu dans le TAC) et en minéraux (TH), autrement dit, le pH d’équilibre.
La notion de pH d’équilibre (pHe)
Quel que soit le niveau du TAC et du pH, un équilibre dynamique s’établit entre les bicarbonates, les carbonates et les minéraux présents dans l’eau.
Le pH d’équilibre correspond à la valeur idéale assurant la stabilité des minéraux dans la piscine, évitant ainsi leur précipitation ou dissolution excessive.
pH < pH d’équilibre
Quand l’eau manque de minéraux, elle devient trop acide (plateau de gauche) par rapport à son équilibre naturel, déterminé par le pH d’équilibre. Pour compenser ce déséquilibre, elle va chercher à se reminéraliser (et va alourdir le plateau de droite) en puisant là où elle peut : dans les revêtements, les joints, les plastiques colorés (qui contiennent souvent des charges minérales ou des pigments d’origine minérale), bref, tout ce qui est en contact avec l’eau et contient des minéraux.
Conséquences : dégradations progressives des matériaux, le liner ou la membrane devient souple et se plisse, décoloration, apparition de taches sombres (moisissures, champignons) derrière le revêtement par infiltrations, et à terme, défauts d’étanchéité.
pH > pH d’équilibre
Quand l’eau est trop chargée en minéraux (calcium, magnésium…), elle atteint un point de saturation. Pour retrouver son équilibre, elle cherche à se décharger de cet excès… en faisant précipiter les minéraux :
- Ils se solidifient,
- Se déposent sur les parois, les revêtements, les canalisations, les équipements, etc.
- Provoquent de l’entartrage : filtres colmatés, échangeurs bouchés, volets rigides, dépôts visibles ou rugueux dans le bassin,
- Et le pH monte.
Les causes fréquentes :
- Eau naturellement très calcaire,
- Eau chaude (chauffage ou ensoleillement),
- Eau trop agitée (nage à contre-courant, débordement…),
- Ajouts d’eau de remplissage non contrôlés (eau de forage, eau de réseaux interconnectés, etc.).
Pourquoi le TAC est-il devenu si important ?
Auparavant, le TAC n’était pas une préoccupation majeure car les liners contenaient des métaux lourds. Ces derniers ont été remplacés par des charges minérales à base de craie. Avec ce changement, dès que l’eau devient agressive, elle manque de minéraux et va les puiser dans les revêtements pour se reminéraliser et faire remonter son pH.Chaque ajout de pH minus contribue à maintenir la valeur du pH souhaité, en luttant contre cette augmentation, mais favorise ainsi la déminéralisation. Les fabricants de liners et membranes ont adapté leurs garanties : ils précisent désormais que les eaux agressives dissolvent les charges de craie dans le revêtement, ce qui le rend moins rigide, provoque des plis, puis la formation de micro-trous. À terme, l’eau peut traverser le revêtement, ce qui favorise le développement d’algues et de bactéries et l’apparition de taches (cf. article « Les 10 problèmes d’eau les plus courants en saison »).
De l’automatisation oui, mais toujours contrôlée
Aujourd’hui, de plus en plus de piscines sont équipées de pompes doseuses de pH. Ces automatismes libèrent les utilisateurs de plusieurs contraintes:
- Moins d’analyses régulières,
- Moins d’ajouts manuels de pH minus,
- Une gestion automatique du pH selon un point de consigne, avec une réactivité accrue.
Cependant, si le TAC chute, le pH maintenu par la régulation n’est plus en adéquation avec l’équilibre calco-carbonique de l’eau. L’eau reste donc agressive malgré la régulation du pH. Cela crée un effet pervers : la régulation continue à augmenter les apports de pH minus pour atteindre la consigne, sans que l’on se rende compte que le problème vient du TAC.
Souvent, on ne cherche pas la cause de cette surconsommation de pH minus. Alors qu’une analyse de l’eau va révéler immédiatement que les autres paramètres (TAC, TH) ne sont plus conformes aux attentes, expliquant ce déséquilibre.Le professionnel doit impérativement conseiller au client de vérifier régulièrement les niveaux de TAC et de TH, que ce soit à l’aide de bandelettes ou d’un petit photomètre, à l’image du contrôle du niveau d’huile entre deux révisions de voiture. Il ne faut pas laisser croire que l’automatisation supprime totalement les interventions humaines : il y a toujours des vérifications et des réglages à effectuer.
Utiliser un outil professionnel, comme la balance de Taylor plastifiée pour un usage sur le terrain, est un investissement dans votre crédibilité auprès du client. La balance de Taylor sert aussi de support pédagogique et de formation pour le client. Elle permet de lui expliquer clairement l’équilibre de l’eau, pourquoi certaines interventions sont nécessaires, et pourquoi il faut parfois intervenir ou ajuster plus souvent certains produits.
Bien utiliser la balance de Taylor
L’analyse de l’eau permet d’identifier précisément le ou les paramètres déséquilibrés, de comprendre d’où vient le problème et d’agir sur le bon levier.
pH d’équilibre et balance de Taylor
Sur la balance de Taylor, la ligne droite entre le TAC et le TH va permettre de déterminer la valeur du pH d’équilibre.
Si le pH n’est pas à l’équilibre, on observe :
- Un V qui pointe vers le haut : l’eau est entartrante,
- Un V avec pointe vers le bas : l’eau est agressive.
Étapes d’utilisation de la balance de Taylor
- Réaliser une analyse des paramètres de l’eau : pH, TAC, TH, température…
- Reporter ces valeurs sur le document plastifié.
- Tracer une ligne entre les 3 paramètres
- Analyser la situation dans sa globalité avant de décider de la meilleure solution pour rééquilibrer l‘eau.
Solutions pour corriger les déséquilibres de l’eau
Une fois le système propre et bien fonctionnel, il est temps de s’intéresser à la correction du déséquilibre de l’eau à l’aide de produits.
- Le constat : l’eau est entartrante.
- Elle contient trop de minéraux dissous, surtout du calcaire, ce qui fait monter le pH.
- Pour revenir à l’équilibre, l’eau va se débarrasser de l’excès de minéraux en les précipitant.
- Solutions :
- Ajouter un séquestrant calcaire,
- Contrôler les apports d’eau neuve,
- Réajuster le pH.
2. Si le pH mesuré est en dessous de la ligne (figure ci-contre) :
- Le constat : l’eau est agressive.
- Elle est trop acide par rapport à son équilibre naturel, souvent par manque de minéraux.
- Elle tente de se reminéraliser : elle va dissoudre ce qu’elle peut autour d’elle pour faire remonter son pH.
- Solutions :
- Rééquilibrer avec ajout de minéraux si nécessaire (apport en calcium),
- Corriger le TAC (alcalinité trop basse),
Ajuster le pH et surveiller régulièrement.
Balance de Taylor et température de l’eau
La balance de Taylor est conçue pour une eau à 25 °C. Or plus la température de l’eau augmente, plus la tendance de l’eau devient entartrante ; à l’inverse, plus elle diminue, plus l’eau devient agressive. Il est donc important d’en tenir compte lors de l’interprétation et du dosage des produits ou utiliser l’Indice de saturation de Langelier (LSI) qui prend en compte la température de l’eau.
La solution idéale ?
Il n’y a pas de solution idéale mais une solution adaptée à chaque piscine. L’objectif est de trouver la meilleure combinaison possible entre pH, TAC et TH :
- la moins instable
- la plus simple à maintenir,
- et la moins sujette aux déséquilibres pendant la saison.
Et en anticipant les baisses « naturelles » de minéraux (TAC, TH), on évite les dérives, on limite les ajustements en urgence et on réduit la consommation de produits correcteurs et de désinfectant.
Résultat : le travail du technicien piscine est valorisé et la confiance renforcée.
Analyser la situation dans sa globalité
Avant d’agir et de corriger chimiquement l’eau, il est important d’analyser le système pour disposer d’une vision globale de la situation. La qualité de l’eau n’est pas qu’une question de produits, c’est un tout.
Le système hydraulique :
- Vitesse de la pompe mal réglée ou temps de filtration insuffisant : vitesse de passage trop rapide ou trop lente, mauvais brassage, etc.
- Filtre encrassé ou insuffisamment entretenu.
- Dysfonctionnement hydraulique : by-pass, vanne mal positionnée, fuites d’air.
- Skimmer ou préfiltre inefficace : saletés qui passent dans le circuit sans être retenues.
Eau verte : penser au filtreUn traitement choc agit dans le bassin, mais les micro-organismes se logent aussi dans le filtre. Après un traitement choc, nettoyer et désinfecter le filtre (traitement à base de chlore ou de produit spécifique pour filtre). L’eau peut reverdir si le filtre est toujours contaminé.
Cas concrets d’utilisation de la Balance de Taylor
Cas n°1 – Une eau agressive
Raison :
- pH < pHe
Conséquences :
- Eau agressive
- Destruction des revêtements (plis, taches…)
- Dégâts sur les sondes
- Corrosion…
Deux solutions possibles :
- Soit on conserve ce pH et on travaille sur le TAC et le TH.
- Soit on conserve le TH pour éviter les apports
en minéraux et on travaille sur le TAC et le pH.
SOLUTION N°1
Conserver le pH de consigne, ajuster le TAC et le TH
- Objectif : maintenir un pH cible
- Avantage : idéal si le bassin est équipé d’une régulation automatique de pH ou si le pH est historiquement bien stabilisé.
Ajustements :
- Augmenter le TH : 200mg/l
- Augmenter le TAC : 250 mg/l
- Vérifier et ajuster le pH
SOLUTION N°2
Conserver la minéralité (TH), ajuster le TAC et le pH
- Objectif : limiter la teneur en minéraux (calcium et magnésium) pour éviter une concentration importante pouvant générer de l’entartrage en cas d’eau chauffée.
- Avantage : recommandé dans les régions où l’eau est naturellement riche en minéraux ou en cas d’eaux fortement chauffées.
Ajustements :
- Augmenter le TAC : 250 mg/l
- Vérifier et ajuster le pH à 7,4
SOLUTION N°1
On maintient le pH et on ajuste le TAC
- Objectif : conserver le pH de consigne pour garantir le confort du baigneur et l’efficacité des traitements.
- Avantage : pas de modification du réglage de la pompe doseuse de pH.
Ajustements :
- Diminution du TAC (pH minus liquide)
- Ajout d’anti-calcaire
SOLUTION N°2
On trouve un compromis pH / TAC pour un retour à l’équilibre global
- Objectif : rechercher un point d’équilibre stable en visant un équilibre calco-carbonique durable.
- Avantage : adapté aux bassins soumis à des conditions instables (eau calcaire, pluie, agitation…).
Ajustements :
- Diminution du TAC (pH minus liquide)
- Diminution du pH
- Ajout d’anti-calcaire
Schémas Xavier Darok