L’eau, un enjeu majeur et récurrent
Avec le changement climatique et la multiplication des épisodes de sécheresse, de plus en plus de départements sont soumis à des arrêtés préfectoraux qui restreignent l’usage de l’eau des réseaux pour la remise à niveau ou le remplissage des bassins. À cela s’ajoute un impressionnant « piscine bashing » politique en pleine saison, largement relayé par les médias, avec toujours la même question : faudrait-il interdire la construction de piscines ? Ce sujet de l’eau des piscines est devenu à tel point prééminent que de plus en plus de collectivités locales se posent effectivement la question de la restriction voire de l’interdiction, temporaire ou non, de la construction de nouveaux bassins (y compris de piscines hors-sols comme ce fut le cas dans les Pyrénées Orientales cet été).
N’oublions pas non plus la multiplication des législations environnementales comme l’article 194 de la loi Climat et résilience (2021) qui vise à la réduction de l’artificialisation des sols, le Plan Eau défini au printemps par Emmanuel Macron ou, plus récemment, le décret n° 2023-835 du 29 août 2023 relatif aux usages et aux conditions d’utilisation des eaux de pluie et des eaux traitées.
À quelles urgences est donc confrontée la filière piscine et surtout… à quelle échéance ? Comment ses acteurs peuvent-ils s’organiser pour en prévenir les effets dès aujourd’hui et démontrer leurs efforts aux décideurs politiques locaux comme nationaux ? Et quelle est la perception du consommateur français face à tout cela dans un contexte d’inflation et de hausse des taux d’intérêts ?
Cette première table ronde organisée par la rédaction des Enjeux Piscine, animée par Sébastien Carensac et Michel Dupenloup, a accueilli 9 participants venus échanger et débattre sur ce sujet majeur pour la filière.
- Jean-Charles Romero, piscinier – AGR Piscine (34)
- Patrice Rubio, réseau – Carré Bleu
- Stéphane Goulet, réseau – l’esprit piscine
- Gilles Cristianini, distributeur – Hydralians
- Jean-Marie Geffroy, industriel – Fluidra
- Sébastien Guillot, industriel – CF Group
- Alain Roulier, industriel – Nextpool
- Laurent-Emmanuel Migeon, industriel – Bio-UV Group
- Xavier Darok, industriel – PCFR
La table ronde s’est tenue en visioconférence le 24 novembre 2023.
ENJEUX PISCINE : Quels sont les grands enjeux du secteur et quel est leur degré d’urgence ?
Jean-Marie Geffroy (Fluidra) débute : « Je pense que le plus urgent est d’y voir clair. Aujourd’hui, il y a des doutes sur quasiment chaque sujet. Est-ce qu’il est possible d’utiliser l’eau de pluie ou pas ? Est-ce que les mairies peuvent définir les dimensions des piscines comme elles le désirent ou pas ? Etc. Nous sommes dans le flou plus total et les questions que nous avons le plus souvent sont : Ai-je le droit ou pas ? Où en est-on ? Qu’elle est la règle ? Ce qui me choque c’est qu’après presque un été à patauger dans des règles qui changeaient toutes les 10 minutes, nous nous retrouvons quasiment au même point aujourd’hui avec une question : comment allons-nous faire au printemps prochain quand il va falloir commencer à creuser avec la pelleteuse ? Et le plus perdu, dans toute cette histoire, c’est le particulier qui entend des sons de cloche différents à chaque fois qu’il lit un article ou écoute une émission à la télévision. Il y a 10 jours, quelqu’un m’a dit, toi qui travailles dans la piscine, que vas-tu faire maintenant que la construction de piscines est interdite ? »
Jean-Charles Romero (AGR Piscine) ajoute aussitôt qu’en ce qui concerne les interdictions de permis et de demandes préalables, « les maires peuvent dire ce qu’ils veulent mais ils ne peuvent pas interdire la construction de piscines. Il y a des PLU en France et s’ils indiquent qu’on a le droit de construire une piscine, un maire ne peut pas s’y opposer. C’est ce qui s’est passé avec le maire de Fayence, qui s’est fait retoquer après avoir déclaré qu’il interdirait la construction de nouvelles piscines. Et réviser un PLU coûte entre 100 et 300 000€ et demande 3 ans de travail. En revanche il a le droit d’interdire le remplissage des bassins. Ça nous est arrivé sur une commune qui avait un problème de pompage ». Ce que confirme Stéphane Goulet (Esprit piscine) qui explique que son réseau n’a pas été confronté à « des refus d’autorisations d’urbanisme mais seulement à des interdictions de remplissage. »
A propos de ce « flou artistique », Laurent-Emmanuel Migeon (Bio-UV Group) précise que « pour la réutilisation des eaux usées traitées municipales et industrielles, la situation est identique. Aujourd’hui, le seul décret d’application publié concerne la réutilisation des eaux pour un usage agricole. Nous n’avons pas les décrets pour les autres usages de l’eau traitée que ce soit pour le nettoyage des voiries par exemple ou l’irrigation des parcs ou des pelouses. Nous sommes donc dans l’attente de ces décrets en espérant qu’ils sortiront avant la saison et surtout avant la prochaine sécheresse. J’en tire la conclusion que nous devons réaliser davantage de lobbying pour disposer de plus d’informations, et suffisamment tôt, pour mieux anticiper, adapter nos stratégies, faire évoluer nos produits et notre communication vers nos clients… et éviter de subir encore une fois. On ne peut que constater que nos dirigeants politiques pilotent à vue. Le problème est que nous subissons l’information en ne l’ayant qu’au dernier moment et qu’il nous est forcément difficile de piloter aussi bien la stratégie d’une filière, eau ou piscine, que celle de nos entreprises ».
Pour Sébastien Guillot (CF Group), « le problème est qu’aujourd’hui, il y a beaucoup d’interprétations. Si on prend du recul, la tendance de fond est à l’écologie et à la dénonciation éthique. La piscine est jugée trop consommatrice d’eau, d’énergie et de chimie, et ce sont ces assertions qui sont récupérées par les politiques qui, dans l’urgence, essayent de s’en servir pour faire des coups d’éclat. Nous avons connu ça pendant le COVID-19 avec, parfois, des mesures prises à la va-vite, qui sont jugées aujourd’hui et seront peut-être invalidées dans 2, 3 ou 4 ans. Nous vivons la même chose actuellement avec les décrets sur l’eau. Le vrai sujet, en réalité, est que la France ne réutilise pas ses eaux de pluie et ses eaux usées parce que nous avons de l’eau en abondance comparativement à des pays comme l’Espagne ou Israël. Mais avec le dérèglement climatique, c’est la panique à bord. Tout le monde essaie de sortir des lois dans l’urgence. Quand vous lisez le décret paru fin août, par exemple, vous constatez que dans une phrase il est dit qu’il faut réutiliser les eaux et dans une autre que vous n’en avez pas le droit. Après la lecture du texte, nous nous sommes rapprochés de l’Agence de l’eau qui nous a répondu qu’elle allait le faire clarifier puisqu’il se contredit en effet.
Notre filière doit cependant tenir compte des tendances de fond. Il y a quelques années, la filière automobile ne voulait pas des véhicules électriques mais elle n’a pas réussi à stopper cette lame de fond. Je pense que ce serait une erreur d’aller à contre-courant et de dire que la piscine ne consomme pas d’eau ou d’énergie. Nous devons, au contraire, prendre en considération l’évolution des mentalités. Il y a des gens, aujourd’hui, qui pensent que faire construire une piscine c’est mal ou qu’ils auront des problèmes pour la remplir. À nous de convertir cela en opportunité et de trouver les solutions pour que l’eau douce utilisée pour le remplissage des bassins puisse être réutilisée ensuite ».
Stéphane Goulet (Esprit piscine) revient sur le sujet de la législation en confirmant « qu’il y a une contradiction entre les décisions des pouvoirs publics et des collectivités locales. Chacun travaille dans son coin sans coordination. La profession a été lourdement stigmatisée alors qu’il existe déjà des solutions pour économiser l’eau ou récupérer les eaux de pluie et ne pas consommer l’eau du réseau.
Des solutions dont la fédération et d’autres organisations ont fait la promotion. Dans le même temps, nous avons des collectivités locales qui expliquent que l’eau est un bien public et qu’elle doit être récupérée, traitée et distribuée et que si chacun, individuellement, ne récupère pas l’eau pour la réinjecter dans le système collectif de récupération et de redistribution des eaux, cela posera un problème à terme. Pour autant, nous sommes obligés de nous adapter et de réagir très vite. Chez nous, pour la mise en place de cuves de récupération d’eau, nous sommes sur des budgets de 5 à 10 000€. Rapporté au prix moyen d’une piscine, ce n’est pas neutre. Il est donc urgent de savoir ce qu’on a le droit de faire ou pas. C’est bien de s’adapter mais encore faut-il que la règle du jeu soit claire, connue de tous et applicable pour, qu’effectivement, les acteurs de la filière, tant industriels, fabricants, constructeurs de piscine ou particuliers soient en mesure de prendre les bonnes décisions. Et ne pas rétropédaler dans 6 mois en nous disant que l’eau est un bien commun et qu’il ne nous appartient pas de l’utiliser à titre personnel ! » Sébastien Guillot (CF Group) complète « un bien commun mais qui est traité par des sociétés privées ! Je pense que c’est ce qui entretient le flou artistique. Ce sont elles qui font du lobbying parce qu’elles ne veulent pas traiter des eaux qu’elles n’ont pas fait couler en amont et pas facturées. Il va donc falloir mettre en place une sorte de comptabilité des m3 d’eau. L’État a lancé des appels à projets pour mesurer ces volumes avec des objets connectés et automatiser les déclarations car aujourd’hui, c’est le particulier qui doit déclarer manuellement la quantité d’eau qu’il a récupérée et renvoyée dans le réseau tous les mois ». « Il est certain que ces majors de l’eau ont une grosse puissance en France » commente Jean-Charles Romero (AGR Piscine). « Mais il faut savoir que la FPP a développé un logiciel qui permet de calculer les consommations d’eau des piscines. Grâce à lui, nous allons pouvoir démontrer qu’une piscine ne consomme quasiment pas d’eau dès lors qu’elle est couverte et qu’elle est hivernée sans baisser le niveau d’eau. Il va aider les piscinistes à prouver leur bonne foi. Il va falloir le mettre en avant, c’est important ».
« C’est vrai qu’il y a un gros travail de communication à faire sur l’utilisation et la gestion de cette eau. » confirme Xavier Darok (PCFR). « Les maires en ont assez d’avoir des gens qui vident leur bassin chaque année parce qu’ils n’ont pas traité correctement l’eau de leur piscine, et ils ont raison sur le principe », explique Jean-Charles Romero (AGR Piscine). « Pour ma part, à Béziers, avec l’interdiction de remplissage ou de remise à niveau, nous avons connu un boom de plus de 18% des ventes de produits chimiques puisque les gens étaient coincés et ne pouvaient pas vider leur bassin. » « Cela va dans le sens de la lame de fond dont parlait Sébastien Guillot » commente Jean-Marie Geffroy (Fluidra). « Il y a eu tellement de communication sur le sujet que tout le monde a pris conscience qu’il y avait un problème. Les gens qui ont une piscine depuis 20 ans vident leur piscine chaque hiver parce qu’à l’époque, on leur a expliqué que c’était obligatoire. Ça leur semblait naturel, comme cela semblait naturel à nos parents de fumer dans la voiture avec des enfants. Une évolution de mentalité ». Et Jean-Charles Romero (AGR Piscine) de raconter que « nous avons eu une discussion houleuse à la fédération, pour déterminer s’il fallait ou non vider un tiers de la piscine au moment de l’hivernage. Il en est ressorti qu’à partir du moment où les canalisations étaient vidées en les mettant sous pression, il n’y avait aucun intérêt à la vider. Cela représente de très importantes économies d’eau à l’échelle de la France ».
Jean-Marie Geffroy (Fluidra) reprend : « Jusqu’à présent, les particuliers n’entendaient pas ce message. Pour eux, c’était la normalité. Aujourd’hui, ils l’écoutent et même s’ils ne l’ont pas encore compris à 100%, je pense que dans les 3 ans à venir, ils seront de moins en moins nombreux, même parmi les anciens, à vider leur piscine si ce n’est pas strictement nécessaire. C’est le côté positif de toute cette communication qu’il y a eu sur l’eau. » Jean-Charles Romero (AGR Piscine) rappelle à ce propos qu’un guide sur le bon usage de l’eau des piscines a été publié par la FPP au mois de juillet.
Pour Stéphane Goulet (Esprit piscine), « il y a effectivement un sujet sur les bonnes pratiques du renouvellement de l’eau des piscines. La FPP est la seule à pouvoir porter ce discours et à représenter la profession auprès des pouvoirs publics et des collectivités locales. Ensuite, depuis 30 ans et jusqu’à présent, le postulat était qu’il fallait renouveler 1/3 de l’eau des piscines chaque année pour éviter de la bloquer. J’ai sensibilisé nos fournisseurs chimistes pour qu’ils intègrent davantage la discussion et prennent position sur le sujet.
Auparavant, on traitait effectivement avec des galets de chlore qui laissaient des sous-produits dans l’eau et pouvaient rapidement bloquer l’eau. Quelles sont leurs préconisations aujourd’hui ? J’imagine que selon le type de traitement utilisé, galets de chlore, chlore liquide, chlore gazeux, etc. on ne bloque pas les eaux de piscine de la même manière ? ». Xavier Darok (PCFR) répond que le travail est en cours. Ce qui ne parait pas convaincre Stéphane Goulet (Esprit piscine) qui complète : « quand je rencontre des dirigeants commerciaux de fournisseurs de produits chimiques, cela n’a pas l’air d’être une priorité pour eux. Or nous avons besoin d’avoir des indications techniques réalistes. C’est un fantasme de penser qu’une piscine ne consomme pas d’eau, il faut à minima nettoyer les médias filtrants. Et à un moment, il faut bien la renouveler ; mais dans quelle proportion ? Doit-on renouveler 5, 10, 20 ou 30% de l’eau ? ». « Mais pourquoi veux-tu renouveler l’eau ? » questionne Jean-Charles Romero (AGR Piscine). « L’eau est naturellement renouvelée grâce à l’eau de pluie ! ».
« Tout dépend du type et de la quantité de produits de traitement dont tu as besoin selon la typologie du bassin » explique Xavier Darok (PCFR). «Cela fait plusieurs mois que la Commission Développement durable travaille activement sur le calculateur de consommation d’eau qui intègre la partie traitement chimique. Il devrait être opérationnel début 2024. Nous avons listé l’ensemble des désinfectants autorisés au niveau européen et, pour chacun d’entre eux, nous observons les sous-produits qu’ils génèrent et à partir de quel moment ces sous-produits, qui restent dans l’eau, deviennent problématiques. Grâce à cela, on peut comparer ce qui est comparable et déterminer à partir de combien de mois ou d’années de traitement l’eau est saturée, le désinfectant ne fonctionne plus et oblige à procéder à un renouvellement d’eau. En étudiant des tests d’efficacité, notamment ceux qui servent à la déclaration des produits biocides et à l’obtention des autorisations de mise sur le marché, nous nous sommes rendu compte que les seuils en piscine privée, transposés par défaut de la réglementation piscines publiques, semblaient erronés. Nous travaillons actuellement à la détermination d’une juste valeur qui reflète exactement ce qui se passe dans l’eau, notamment en ce qui concerne le stabilisant, et qui ne soit problématique ni pour l’utilisateur, ni pour l’utilisation de la piscine. L’outil est déjà fonctionnel mais certains points doivent encore être validés par des tests scientifiques avant de le mettre à la disposition des acteurs du marché. » Ce que confirme Alain Boulier (Nextpool). »
Stéphane Goulet (Esprit piscine) reconnait que cela semble être « une bonne démarche avant de communiquer sur cette consigne. Il appartient ensuite au constructeur de piscine de faire ce qu’il faut pour que les piscines de ses clients soient traitées raisonnablement, de proposer des solutions techniques pour limiter les pertes d’eau et la renouveler. Et rendre ses piscines faiblement consommatrices avec une eau de qualité ». « Nous avons réalisé des tests avec cet outil qui ont démontré que la consommation d’une piscine de 13×6, par exemple, dans le département de l’Hérault n’était que de 3m3 d’eau par an ! » illustre Jean-Charles Romero (AGR Piscine).
« C’est toute la beauté du logiciel et toute l’importance du travail qui a été fait ces derniers mois au sein de la Commission » complète Xavier Darok (PCFR). « Grâce à la géolocalisation de la piscine, et à partir de données météo factuelles moyennes sur les 10 dernières années, le logiciel permet d’estimer la quantité moyenne d’eau entrante et sortante ainsi que la consommation de produits chimiques. Cela permet à n’importe quel piscinier qui l’utilise de dire à son client que, sur sa commune, la consommation en eau de sa piscine est estimée à tant de mètres cube chaque année. L’outil permet également de classifier la piscine dans le cadre de la norme environnementale ». Jean-Charles Romero (AGR Piscine) avoue même que les membres de la commission « ont été surpris par les résultats sur les régions les plus pluvieuses ». Ce que confirme Xavier Darok (PCFR) « si on regarde ce qui se passe hors de France, comme en Belgique, l’eau y est tellement renouvelée par la pluie qu’ils continuent à traiter avec des galets et qu’ils n’ont aucun problème de sur-stabilisation. »
Et de poursuivre « Cet outil va être extrêmement efficace et utile. Il va permettre d’indiquer aux services d’urbanisme, au moment du dépôt d’un permis de construire, le volume d’eau nécessaire au remplissage annuel, les attendus en consommation et les équipements qui seront installés pour le recyclage, la gestion intelligente du bassin, etc. Normalement, les maires devraient être moins réticents à délivrer des autorisations d’urbanisme, surtout si le PLU dit que le terrain est piscinable. »
« Je pense qu’il faut également changer le paradigme » reprend Sébastien Guillot (CF Group). « Consommer de l’eau, ce n’est pas mal. Cela fait partie d’un cycle. Le problème que nous avons, c’est le rapport entre eau douce et eau salée. Une rivière consomme aussi de l’eau, mais cette eau douce finit dans la mer ! Je pense qu’aujourd’hui il faudrait plutôt revoir les usages de l’eau douce en France et en Europe, voire au niveau planétaire : comment cette eau douce doit-elle être récupérée, stockée et réutilisée ? On a le même problème avec un robinet, une douche, un WC… on ne va pas dire consommation 0 sur tout ce qu’on utilise à longueur de journée. La piscine consommera toujours un peu d’eau. La question maintenant est que fait-on ? Quand on dit qu’il y a 20% de fuite sur le réseau d’eau potable en France, Véolia répond que cette eau redescend dans les nappes phréatiques. Si une piscine fuit, son eau s’infiltre pareillement dans les nappes ! C’est d’ailleurs le principal problème de l’artificialisation des sols qui empêche l’eau de pluie d’aller recharger les nappes. Le Salon des Maires s’est terminé (1) aujourd’hui, et tout le monde annonce des subventions sur des systèmes de récupération de l’eau de pluie, sauf qu’il n’y a jamais eu autant d’eau ! L’annonce fait forcément plouf puisque ce n’est pas la bonne période pour annoncer ce type de mesure.
La question est donc de réfléchir à comment gérer ce cycle de l’eau pour avoir une autre approche dès aujourd’hui. Il faut bien sûr faire des efforts au niveau de la piscine et ne plus vidanger la piscine chaque année, la couvrir, faire des recherches de fuite, et la traiter chimiquement avec un objectif de résultat et pas uniquement de moyens. »
Stéphane Goulet (Esprit piscine) : « Je suis d’accord. Il y a aussi le sujet du nettoyage des filtres à média granulaire. Le postulat qui veut que lorsqu’on nettoie ce type de filtre on gaspille de l’eau est faux. Elle n’est même pas rejetée sur le terrain et part dans le système de collecte des eaux usées pour être traitée, recyclée et redistribuée à la collectivité. On a tort d’opposer filtre à sable et filtre à cartouche en disant que l’un gaspille de l’eau et l’autre pas.
Même si on réduit l’évaporation au maximum en couvrant les piscines, il faudra toujours renouveler et retraiter un minimum d’eau. D’où l’importance du point de consigne pour savoir quelle quantité d’eau on doit renouveler dans une piscine pour qu’elle soit bien traitée chimiquement, et à partir de quel volume on considère que cette eau n’est pas gaspillée puisqu’elle est traitée et redistribuée à la collectivité. Cela permettrait de proposer des solutions aux clients en fonction de l’emplacement de leur piscine, de l’accès au réseau d’eaux usées ou non, etc. Si la piscine est équipée d’une couverture avec un accès au réseau, on pourrait peut-être proposer de mettre un filtre à sable. Si elle n’a ni couverture ni accès au réseau, proposer plutôt un filtre à cartouche… »
Et à propos du pool bashing : « Il n’y a pas de haro sur la piscine. En revanche j’ai lu des propos extrêmement choquants dans un article de Libération sur l’utilisation des piscines. La personne interviewée disait qu’elle tenait à sa piscine même si elle avait eu 1 800€ de facture d’eau cette année. Quand on connait le prix du m3 d’eau – environ 4€ – et le coût de la remise à niveau d’une piscine de 8×4, qui doit représenter à peu près 60€ pour l’année, on se demande où sont passés les 1 740€ d’eau facturés ? Ce type d’information est relayé par les médias sans aucun esprit critique. Et les pouvoirs publics prennent des décisions sur des données totalement erronées. A partir du moment où nous communiqueront des informations claires et démontrées sur la consommation des piscines et que la fédération continuera à faire du lobbying, nous devrions réduire l’impact médiatique et convaincre les collectivités locales. En tout cas, je l’espère. »
Pour Jean-Charles Romero (AGR Piscine), « on parle beaucoup de la problématique de l’eau dans les médias et de son impact sur les ventes de piscines. Pour moi, elle a seulement décalé les ventes car, en septembre, nous avons été inondés de contacts. La profession n’a pas eu de coup de mou, elle est surtout revenue sur les standards post covid. Les particuliers ne veulent pas moins de piscines qu’en 2019, nous sommes toujours en positif. On ne peut donc pas dire que le métier se porte mal. Même s’il faut se battre contre le pool bashing médiatique, il ne faut pas oublier le reste. Nous avons le problème du coût de l’énergie. Personnellement, j’ai perdu 500 000€ de chiffres d’affaires cette année parce que je ne vends plus de spas. Les particuliers n’en achètent plus parce qu’il est très consommateur d’électricité. Les gens n’achètent plus, non plus, de maison secondaire parce que les taux d’intérêts sont trop élevés. Et le taux d’inflation les empêche de réinvestir dans la piscine. Cette année j’ai été davantage pénalisé par les problèmes de crédit ou d’inflation que par le problème de l’eau. Mais ne vous alarmez pas, nous avons encore plus de 65 000 piscines à poser par an ! »
Ce que confirme Stéphane Goulet (Esprit piscine) « il est évident que nous subissons trois phénomènes distincts. Le premier est effectivement l’impact de la transition écologique et des restrictions d’eau. Le second est un souci économique lié à l’augmentation des taux d’intérêt, de la crise, de la guerre, etc. Le troisième est que nous vivons la redescente de l’effet d’aubaine post covid. Je vous rappelle qu’en 2019, on a vendu 50 000 piscines en France, et que c’était le meilleur score jamais atteint. En 3 ans nous avons réalisé 5 années de business et sommes passés de 50 à 90 000 bassins annuels !
En ce qui nous concerne, nous avons considéré dès le départ que l’augmentation du nombre de piscines était conjoncturelle. Il suffisait de regarder les courbes du baromètre trimestriel de la FPP pour se rendre compte que le marché était totalement dopé. Il était donc normal que la baudruche se dégonfle à un moment donné. Nous connaissons aujourd’hui une dépression qui, il me semble, impacte les ventes et les contacts. Je pense que nous reviendrons rapidement aux chiffres de 2019, qui était une bonne année, sauf qu’à cette époque les acteurs de la profession avaient tous du boulot. Depuis, la profession a augmenté sa capacité de production pour pouvoir construire 90 000 bassins. Il y a donc davantage d’acteurs et plus d’offre que de demande. Le gâteau se réduit et nous sommes plus nombreux à nourrir. La situation commerciale n’est, de ce fait, plus tout à fait la même et il va y avoir des tensions et de la casse. D’après ce que nous entendons des fabricants et des distributeurs, certaines entreprises, dont c’est le métier à 100%, connaissent déjà des difficultés de paiement ou sont en cessation d’activité. En ce qui concerne notre réseau, nous n’avons pas trop subi cette décroissance en 2023 parce qu’étant constructeurs sans sous-traitance, nous avons une inertie du carnet de commandes. Mais aujourd’hui, même si on reste sur un niveau d’affaire dans la lignée de 2022 et 2023, nos carnets de commandes se réduisent et nos ventes sont en baisse. Nous allons devoir trouver des solutions pour maintenir l’activité. ».
Pour Jean-Charles Romero (AGR Piscine) pour qui « il ne faut pas oublier qu’il y a de plus en plus de piscines sur le plan national, et ce que nous constatons, au niveau du réseau Fusion, c’est que la rénovation est en train d’exploser. Les pisciniers les plus techniques peuvent proposer de la rénovation et auront du travail. Pour les autres, ceux qui n’ont voulu faire que du neuf avec du produit standardisé, comme de la coque, c’est plus compliqué. » Ilpense également « que la construction de piscine va se décaler dans la période de l’année. Auparavant, même si nous construisions toute l’année, la demande était surtout forte de février à juin voire juillet pour ceux qui posent des coques. Aujourd’hui on se rend compte que le marché est en train de virer. Nous construisons désormais des piscines entre septembre et décembre. Les gens ont très peur de ne pas pouvoir remplir leur piscine au printemps. Ils viennent même nous voir pour savoir si nous pouvons la rénover maintenant. Cela va nous permettre d’équilibrer notre travail sur l’année ce qui est très important pour nous. »
Patrice Rubio (Carré Bleu) est en phase avec tout ce qui a été dit. « Dans un premier temps, nous avons subi une rafale médiatique en début d’été que nous n’avions pas anticipée. Certains d’entre nous ont essayé d’argumenter, mais il est très compliqué de défendre ses positions quand on n’est pas écouté. Heureusement, les médias ont trouvé un autre os à ronger ce qui nous a permis de mieux respirer à la fin de l’été. Mais cela recommencera. En revanche je trouve très bien que cela ait engendré une prise de conscience globale et collective, que la profession soit contrainte de se réinventer. Mais il est compliqué de définir une stratégie cohérente quand les décisions politiques sont balbutiantes et que les décrets sont flous.
Je rejoins également Stéphane sur le fait que la demande est toujours là, après 2 années complètement folles et artificielles, pendant lesquelles il a été confortable de signer des piscines sans trop faire d’efforts. Maintenant, nous revenons dans la vraie vie. Nous devons reprendre notre bâton de pèlerin et aller chercher le client comme on le faisait avant le COVID en participant à des salons, en organisant des journées portes ouvertes, etc. «
« N’oublions pas non plus, que si l’activité est plus tendue, c’est également à cause du coût actuel d’une piscine classique comparé à 2018. Les fournisseurs que nous recevons aujourd’hui nous disent qu’ils sont très contents de ne pas augmenter leurs tarifs, mais le niveau des prix est juste dingue après les augmentations tarifaires de ces 3 dernières années. L‘écart de prix est très conséquent et représente un frein à l’investissement et à la construction.
En revanche je ne suis pas persuadé que la rénovation explose. Je pense que ce marché a toujours été là, à la différence que, quand on a un carnet de commande plein avec 8 à 10 mois d’activité en construction, on ne s’occupe pas des demandes de rénovation. Et comme le marché de la piscine neuve baisse, mécaniquement, le marché de la rénovation se développe. »
Laurent-Emmanuel Migeon (Bio-UV Group) soumet l’idée qu’il faudrait d’ailleurs « communiquer davantage en s’adressant aux propriétaires de bassins anciens, ceux qui ont été construits il y a une quinzaine d’années. Il se construit peut-être 50 000 bassins par an, mais il y en a 1,6 millions qui existent déjà
Nous pourrions montrer que la filière innove et propose des solutions positives pour la transition écologique des piscines, moins consommatrices en énergie, en eau, en produits, avec moins de chimie, etc. » Et d’expliquer que « comme nous avons peu de visibilité à la fois sur les discussions politiques et sur les législations à venir, la question est de savoir comment anticiper les évolutions des nappes phréatiques et donc la disponibilité de l’eau pour pouvoir faire tourner nos usines, vendre des équipements et remplir les bassins sur un territoire.
Il existe aujourd’hui des outils prévisionnels, comme Imageau, qui donnent une visibilité à 1, 2 ou 3 mois et permettent, éventuellement, de prévoir les arrêtés sécheresse. Ils peuvent aider les acteurs de la filière à adapter leur stratégie, leur calendrier de production et/ou leurs moyens en fonction des ressources en eau disponibles. Je pense que ces outils pourraient nous aider, soit à anticiper le remplissage, soit à contester les éventuels arrêtés. »
EP : Au-delà des quelques entreprises qui pourraient connaître en difficulté de trésorerie, auriez-vous identifier d’autres impacts réels sur l’activité des pisciniers ?
« D’après moi c’est l’incertitude dont nous avons parlé au début de la table ronde », explique Alain Boulier (Nextpool). « Nous ne savons pas où nous allons alors que le marché n’est pas si mauvais que ça. Nous subissons le contrecoup de 3 années avec de très fortes hausses. Et nos politiques ne savent pas non plus quelle orientation prendre. Les particuliers attendent de savoir quelles seront les nouvelles réglementations sur les piscines : seront-ils taxés s’ils font construire une piscine, sur sa consommation d’eau, selon ses dimensions, etc. ? C’est ce flou qui semble freiner les envies de piscine chez soi. Et Il y a également les hausse du prix de l’énergie, la loi sur l’artificialisation des sols… Tout cela rentre en ligne de compte. »
« Les particuliers ne savent même pas qu’il y a une loi contre l’artificialisation des sols alors qu’elle sera appliquée en 2030. » ajoute Jean-Charles Romero (AGR Piscine). « Nous avons eu la chance qu’il fasse très chaud cet été et que les intentions d’achat soient toujours là, sinon nous aurions eu un vrai problème. Il est certain que les médias parlent beaucoup trop de l’eau. C’est la principale problématique de notre métier. »
Sébastien Guillot (CF Group) complète le constat de Stéphane Goulet « : pour aller un peu plus loin sur la partie bulle COVID et le contexte économique en France, je pense qu’on oublie aussi qu’entre mars 2020 et juin 2022, 700 000 prêts garantis par l’État ont été accordés. Ces 143 milliards d’euros injectés dans l’économie sont des prêts, pas des subventions ou des dons, qu’il va falloir rembourser aujourd’hui au système bancaire. Nous avons tous bénéficié de cet apport d’argent frais mais avec les taux d’intérêt actuels à 4,4%, l’accès au crédit n’est plus le même. » « Je pense que toutes les sociétés qui se portent mal aujourd’hui sont celles qui ont fait appel au crédit », commente Jean-Charles Romero (AGR Piscine). « Et il est annoncé que le taux va redescendre à 3,8%. » Sébastien Guillot (CF Group) poursuit : « Il y a des secteurs d’activité qui ne sont pas impactés par la problématique de l’eau et qui subissent la même déflation que notre secteur. Donc, si sur les 3 raisons données par Stéphane, ces secteurs ne subissent pas l’impact de la transition écologique et des restrictions d’eau, ils connaissent quand même un recul de leur activité. »
Stéphane Goulet (Esprit piscine) constate « que ce n’est pas l’urbanisme qui nous a le plus gêné en matière de construction de piscine mais plutôt le piscine bashing des médias. Nous avons des clients qui achèteraient bien une piscine parce qu’ils en ont envie, mais qui font un pas en avant et un pas en arrière, en se demandant si c’est un acte vraiment vertueux. Nous passons donc beaucoup de temps à dépolluer le discours médiatique avec un message positif. » Jean-Marie Geffroy (Fluidra) complète « Les particuliers se posent effectivement la question de savoir si, une fois qu’ils auront investi dans une piscine, ils pourront l’utiliser. Ils ont peur de dépenser de l’argent pour rien si on leur interdit de la remplir ou de la mettre à niveau ». « Et c’est pour ça que le marché de la mini-piscine explose en France », analyse Jean-Charles Romero (AGR Piscine). « Cela représente plus de 30% des demandes sur notre région, parce que les gens se disent qu’il faut moins d’eau pour les remplir et qu’il n’est pas nécessaire de les déclarer à l’urbanisme. »
« Nous refaisons un travail que nous ne faisions plus : redonner l’envie et convaincre le consommateur de l’intérêt de faire construire une piscine », explique Stéphane Goulet (Esprit piscine). « Il faut lever les doutes qu’il peut avoir sur son côté vertueux et le déculpabiliser. Nous rencontrons des consommateurs qui ont des peurs mais surtout des a priori qui ne sont pas souvent justifiés techniquement. C’est un travail à ne pas négliger pour pas perdre d’affaire. »
Jean-Charles Romero (AGR Piscine) réagit: « Le plus important de nos problèmes est que nous nous sommes tous reposés sur nos acquis. Pendant le COVID nous ne nous déplacions même plus. Les piscines se vendaient toutes seules. Nous avons oublié pendant quelques années une réalité du marché qui est qu’il faut faire du commerce, aller au charbon, relancer les clients, etc. ; sinon c’est un concurrent qui prend le marché. »
« Nous avons clairement un recul sur le neuf » enchaîne Stéphane Goulet (Esprit piscine). Comme nous proposons de la piscine sur mesure, sans sous-traitance, nous n’avons pas bénéficié plus que de raison de l’effet d’aubaine et nous vivons encore sur les devis de 2022 et du début 2023. Nous n’avons toujours pas activé les leviers de la rénovation. Pour autant, nous nous rendons compte que le marché du neuf va devenir compliqué avec moins de demandes et surtout autant d’acteurs. »
Gilles Cristianini (Hydralians) conclut cette partie « Le sujet des restrictions d’eau a monopolisé la filière en 2023 même si je pense que le travail de la fédération a permis d’estomper en partie le piscine bashing. Nous rencontrerons à nouveau des problématiques liées à l’eau mais nous apporterons des solutions.
En revanche, si les gens ne veulent pas faire construire une piscine ou la faire fonctionner parce que cela coûte trop cher, ce sera vite problématique. Je pense qu’il faut que nous nous occupions davantage des piscines existantes et du marché de la rénovation. La filière doit également se professionnaliser sur ce sujet pour apporter réellement des solutions aux consommateurs.
Ce qui m’inquiète, ce sont les évolutions tarifaires sur l’énergie prévues en 2024. On parlait tout à l’heure de la décroissance importante des ventes de spa à cause de sa consommation énergétique. Le marché de la piscine risque lui aussi d’être impacté par l’augmentation de son coût de fonctionnement. Nous devons anticiper cette problématique avec un discours et des solutions différenciantes pour le professionnel et le consommateur, notamment sur le marché de la rénovation et pas uniquement sur celui de la construction. D’après moi, l’enjeu principal de 2024 sera comment allons-nous nous assurer que les millions de piscines existantes sur le marché vont consommer moins d’électricité ? »
Suite de la table ronde « Energie, inflation et pistes de réflexion pour le marché ».