La garantie et l’assurance dites décennales sont deux obligations légales distinctes (quoique indissociables) qui incombent à tout constructeur d’ouvrage, en ce compris le constructeur de piscine. Mais comment s’appliquent-elles ? Quelles sont les obligations qui vous incombent dans le cadre de la garantie décennale et à quel moment l’assurance prend-elle le relais… ou pas ?
(Re)mise à jour sur le sujet avec 3 experts en la matière, Jean-Michel Susini (FPP), Jean-Christophe Puerta (Sudassur) et Luc Giovanelli (Expert piscine).
Jean-Michel SUSINI, responsable juridique (FPP)
Les professionnels confondent encore trop souvent les obligations qui relèvent de la garantie décennale avec celles qui relèvent de l’assurance décennale.
La garantie décennale :
Elle s’applique en priorité, sur le fondement des articles 1792 et suivants du Code Civil. C’est une obligation de garantie qui se résout par une obligation de faire.
Le professionnel, qui suite à l’apparition d’un désordre est saisi d’une réclamation par son client, doit en toute hypothèse :
- Se déplacer en vue de procéder au constat du désordre, in situ.
- Établir un diagnostic fiable de la cause du désordre.
- Prendre en charge les travaux nécessaires à la reprise du désordre.
Précisons que la responsabilité décennale couvre les désordres importants, c’est-à-dire ceux susceptibles d’entraîner une impropriété à destination ou une atteinte à la solidité de l’ouvrage.
Ajoutons qu’il existe une exception à l’obligation de prise en charge du désordre, lorsque le professionnel est en mesure d’établir que ledit désordre trouve son origine dans une cause étrangère (non-respect, par le client, des consignes d’utilisation et/ou d’entretien, modification ultérieure apportée à l’ouvrage par une tierce entreprise…). Attention, les dommages causés par un vice du sol et/ou des aléas climatiques ne sont pas considérés comme résultant d’une cause étrangère, sauf si l’évènement a fait l’objet d’une reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle (arrêté interministériel pour le phénomène ayant provoqué les dommages).
NB : Les désordres concernant les pathologies moins importantes, qui n’empêchent pas l’utilisation du bassin et n’affectent pas sa solidité (anomalies d’aspect, taches, décoloration, plis, différences de couleur des margelles, légers désaffleurement entre les carreaux…) ne relèvent pas de la garantie décennale (pas plus que de l’assurance décennale…), mais peuvent engager la responsabilité civile du constructeur sur le fondement d’autres obligations (responsabilité contractuelle, garantie des vices cachés, garantie légale de conformité…).
L’assurance décennale :
Il s’agit d’une obligation qui incombe au constructeur d’ouvrage concerné par l’obligation de garantie décennale, de souscrire une assurance décennale couvrant les ouvrages réalisés. La mobilisation de l’assurance décennale suppose la défaillance (prévisible ou avérée) de l’entreprise débitrice de l’obligation de garantie décennale (voir plus haut).
En pratique, lorsque ladite entreprise ne dispose plus des moyens d’intervenir efficacement (trésorerie insuffisante…) ou qu’elle a disparu (fermeture suite à la cession du fonds de commerce ou départ en retraite de l’entrepreneur, liquidation judiciaire…), la déclaration du sinistre auprès de la compagnie d’assurances permettra au client (le maître d’ouvrage) d’obtenir la prise en charge des travaux de réparation de l’ouvrage aux frais de ladite compagnie d’assurances.
Dans tous les cas, il faut réserver l’assurance pour les coups durs. Ainsi, dès lors qu’une réparation est raisonnablement réalisable (une fuite d’eau, un skimmer dégradé, une margelle instable…), il est essentiel de prendre en charge la réparation au titre de la garantie, faute de quoi l’entrepreneur s’exposera à une augmentation sensible du taux de calcul de sa prime annuelle, voire au risque d’une résiliation unilatérale de son contrat par la compagnie d’assurances.
Les désordres (souvent les plus importants) qui trouvent leur cause dans une inadaptation entre l’ouvrage et la nature du sol (remontées phréatiques, retrait/gonflement des argiles…), relèvent de la responsabilité du professionnel.
En effet, ce dernier ne peut pas opposer au client son ignorance de la nature et des propriétés du sol sur lequel il envisage de construire la piscine. C’est à l’entrepreneur qu’il incombe d’évaluer le risque et d’y pallier. S’il a le moindre doute, une étude de sol s’impose…À ce sujet, signalons que, dans l’ouest du pays, l’infestation des sols par les xylophages, et particulièrement les termites (Les termites, un vice du sol qui relève de la responsabilité du piscinier), cause régulièrement des désordres graves aux canalisations. Il s’agit typiquement d’un vice du sol qui relève de la responsabilité du professionnel.
À partir du jour de la signature du PV de réception et pendant les deux premières années, toutes les garanties se superposent (ce qui ne signifie pas qu’elles se confondent), que ce soit la garantie biennale, qui concerne les éléments d’équipements non solidaires du support (cf. 1792-3 Code civil), ou la garantie de parfait achèvement, qui concerne les anomalies consignées au titre des réserves, lors de la réception.
À partir de la 3e année, le professionnel n’a plus que la garantie décennale à assumer, mais encore trop souvent, il imagine qu’il n’est plus guère débiteur d’une quelconque obligation vis-à-vis de son client… Il a tort !Comme le précise l’article 1792-4-1 du Code Civil, la garantie est due pendant 10 ans. Ajoutons à ce sujet que l’assurance décennale ne doit pas être considérée comme une forme d’externalisation du SAV… Pendant cette durée, le professionnel reste exposé au risque d’une procédure judiciaire, sur requête du client, suite à l’apparition d’un désordre entraînant l’impropriété à destination ou l’atteinte à la solidité de l’ouvrage.
L’obligation de garantie décennale peut être considérée comme exorbitante par rapport aux règles de droit commun de la responsabilité civile qui prévoit, lorsqu’il y a dommage, que le demandeur qui entend obtenir réparation de son préjudice, établisse la réalité du dommage, l’existence d’une faute et le lien de causalité entre les deux.
En matière de responsabilité décennale, le simple constat du dommage par le client suffit à engager la responsabilité du constructeur. C’est à ce dernier, s’il estime qu’il n’est pas responsable, de prouver que le dommage est la conséquence d’une cause étrangère (voir plus haut).À partir du moment où le professionnel débiteur de l’obligation de garantie est défaillant (parce qu’il ne peut pas ou ne veut pas assumer la prise en charge du dommage), cette défaillance impose au client d’agir judiciairement. Ce type de procédure débute presque invariablement par une assignation devant le juge des référés en vue d’obtenir la désignation judiciaire d’un Expert dont le rapport final permettra au magistrat (qui n’est pas un technicien du bâtiment) de rendre un jugement avisé et équitable.
Jean-Christophe PUERTA, assureur (SUDASSUR)
L’assureur ne garantit que ce qui est en technique courante, dans le cas contraire il peut prononcer une non-garantie. La technique courante, ce sont les DTP, les DTU, les normes AFNOR.
Lorsqu’un fabricant innove en lançant un nouveau produit, il ne rentre pas dans le cadre de la technique courante. Il doit s’adresser au CSTB qui instruit le dossier et donne un avis technique qui vaut technique courante pour l’assureur.
Tout ce qui sort de la technique courante ou de l’avis technique n’est pas couvert. Par exemple, l’utilisation d’agglos creux sans ferraillage ni remplissage béton n’est pas considérée comme une technique courante. Sur le papier la garantie sera rejetée. Si l’ouvrage est construit sans puits de décompression, la garantie ne s’appliquera pas non plus.
L’assurance couvre :
- l’atteinte à la solidité,
- l’impropriété à la destination.
Ce sont les experts qui jugent, au moment de l’expertise amiable, si les dommages peuvent être couverts par l’assurance décennale ou pas.
Un élément important à rappeler, le contrat d’assurance doit être en cours à la date d’ouverture du chantier. Si le maître d’ouvrage débute les travaux, même si le piscinier intervient à la fin, ce dernier doit être assuré à la date d’ouverture du chantier. Si l’entreprise a changé d’assureur entre-temps, en cas de sinistre mobilisant à la fois la garantie décennale et la garantie Responsabilité Civile, les deux assureurs devront être présents au moment du sinistre.
À compter de la signature du PV de réception sans réserve, le professionnel doit 10 ans de garantie.
Attention, si un client ne réceptionne pas un chantier et qu’il ne règle pas la facture, il n’y a pas transfert de propriété de l’ouvrage entre le professionnel et son client et le risque sur la structure reste de la responsabilité du professionnel. Il en est de même en cas de réserves sur le PV de réception, la garantie ne prendra effet qu’à la levée de ces réserves.
Le client, pour sa part, doit assurer sa piscine en responsabilité civile et en dommages auprès de son assureur.
Depuis 2005, la piscine est considérée comme un ouvrage du bâtiment. Même si l’étude de sol n’est pas systématiquement obligatoire, elle est recommandée. A minima, le professionnel doit se renseigner sur la nature du sol, les risques technologiques de la commune, et s’assurer qu’il n’y ait pas de remontées d’eau à l’endroit où sera construit le bassin.
La notion de travaux de technique courante s’applique :
- Pour des travaux de construction répondant à une norme homologuée (NF DTU ou NF EN), à des règles professionnelles acceptées par la C2P ou à des recommandations professionnelles acceptées par la C2P.
- Pour des procédés ou produits faisant l’objet, au jour de la passation du marché, d’une Évaluation Technique Européenne (ETE) bénéficiant d’un Document Technique d’Application (DTA), ou d‘un Avis Technique (Atec), valides et non mis en observation par la C2P.
- Pour des procédés ou produits faisant l’objet, au plus tard le jour de la réception (au sens de l’article 1792-6 du code civil), d’une Appréciation Technique d’Expérimentation (Atex) avec avis favorable.
Les règles professionnelles acceptées par la C2P (commission prévention produits mis en œuvre par l’Agence Qualité Construction), les recommandations professionnelles acceptées par la C2P et les procédés ou produits mis en observation par la C2P sont consultables sur le site de l’Agence Qualité Construction (www.qualiteconstruction.com).
Luc GIOVANELLI, expert piscine et formateur sur le thème « Éviter ou gérer un litige » à l’UFA de Pierrelatte.
La garantie décennale débute au jour de la réception des travaux. Avant, c’est la responsabilité contractuelle du piscinier qui s’applique, d’où l’importance de réceptionner les travaux de façon formelle.
La décennale couvre les désordres qui nuisent à la destination de l’ouvrage – en piscine, la 1re impropriété ce sont les fuites – et ceux qui compromettent la solidité de l’ouvrage ou qui l’affectent dans un de ses éléments constitutifs comme un bassin qui se casserait en deux, mais c’est plutôt rare. Les deux types de désordre sont généralement liés en ce qui concerne les piscines.
La garantie ne s’applique par pour des bassins avec liner/membrane où seraient apparues des microfissures sur la structure, ou si le liner/membrane s’est détendu avec formation de bosses ou de plis (désordres de nature esthétique). Il faut vraiment qu’il y ait des fuites. Si le liner se dégrade parce que la piscine est mal entretenue par le client, la responsabilité du professionnel n’est pas engagée si ce dernier a bien fourni l’ensemble des notices et la méthodologie de traitement et d’hivernage.
La garantie ne couvre pas les équipements (pompes, tuyaux dans le local technique, coffret électrique…) qui dépendent de la garantie biennale (garantie fabricant).Pour que la garantie joue, il faut que l’ouvrage devienne immeuble par destination, qu’il ne soit pas possible de le réparer sans intervenir sur l’ouvrage : skimmer ou tuyaux sous la structure qui fuient…
Le piscinier doit vérifier que sa police couvre les travaux qu’il réalise (piscines coques, béton, kit…). S’il réalise l’installation électrique et la plomberie, cela doit être spécifié dans son contrat pour être couvert. Idem concernant la pose du système d’étanchéité. Une entreprise qui n’intervient que pour l’entretien d’une piscine doit disposer en théorie d’une assurance décennale qui précise son champ d’intervention, pour être couverte, par exemple, si une membrane/liner est endommagée en raison d’un mauvais traitement dont le professionnel est responsable.
Un piscinier peut aussi s’assurer pour un chantier spécifique, si par exemple, il installe une coque alors qu’il construit habituellement des piscines en béton. Attention, l’assurance décennale est une obligation et l’absence de souscription est pénalement poursuivie… même en cas de fermeture de l’entreprise, le dirigeant reste pénalement responsable.
EP : Les principaux désordres constatés en expertise ?
Sur les bassins en dur, maçonnés ou en béton, c’est généralement un défaut de mise en œuvre : apparition de microfissures/fissures dans les bassins, défaut de jonction entre la dalle et les murs, mauvaise mise en œuvre du béton banché, etc. Le problème aussi, souvent, vient du fait que les professionnels n’étanchent pas la structure avant de poser le carrelage. Le carrelage seul n’est pas une étanchéité !
Sur les piscines coque les problèmes viennent généralement du terrassement et de l’absence de drainage. Le fond de fouille est souvent mal préparé, avec trop ou pas suffisamment de « gravier » et finit par s’affaisser avec apparition de trous et bosses sur le fond et/ou basculement de la piscine. On le constate généralement au moment de la mise en eau. Il est donc impératif de respecter la réglementation sur la pose de piscines coques. Dans ces cas-là, l’assurance décennale ne s’applique pas parce qu’il n’y a pas impropriété et que les désordres sont constatés principalement avant réception. En revanche, le professionnel risque une procédure judiciaire s’il n’intervient pas.
Un autre problème majeur est l’absence de drainage, un drainage non adapté ou une absence d’évacuation des eaux de drainage. L’eau exerce une poussée avec risques de soulèvement.
Pour les piscines béton ou les « kits » l’absence de drainage peut engendrer l’apparition de « cloques » sur le liner/membrane ainsi qu’un risque de submersion de la pompe dans certaines configurations.
Sur un terrain plat, l’eau ne s’évacue pas gravitairement et va rester stockée sous le bassin et les côtés. D’où là encore l’importance d’installer un puits de décompression avec pompe de relevage pour l’évacuation de l’eau. Il est très difficile d’ajouter un puits de décompression une fois la piscine terminée et les plages réalisées.
Le piscinier est responsable en cas de désordres liés à la nature du sol. Il ne peut pas dire qu’il ignorait la consistance d’un sol (argile gonflante, épaisseur importante de remblai…).
L’autre risque est le changement d’environnement autour de la piscine comme la pose d’une dalle en béton sur une partie du jardin accolée à la piscine, le terrain s’assèche et s’affaisse.
Souvent ce n’est pas la réparation de la piscine qui coûte cher, ce sont tous les aménagements autour qui vont être endommagés et qu’il va falloir refaire… parfois pour un simple tuyau cassé. Autre impropriété parfois constatée, le défaut de conformité du volet roulant suite à une mauvaise pose.